INTÉRÊT DE LELECTRO-OCULOGRAPHIE DANS LEXAMEN DES STRABISME
Myriam BOURRON-MADIGNIER
(Lyon )
Je voudrais préciser demblée que nous faisons des enregistrements électro-oculographiques, non pas dans un service dexploration fonctionnelle, mais au sein dune consultation de strabologie cest à dire que notre protocole dexamen est orienté sur lexamen du strabisme : nous avons essayé de faire une exploration qui se rapproche le plus possible de lexamen clinique.
Notre démarche est avant tout clinique : examen moteur et sensoriel le plus précis possible (si nécessaire, quelques séances diagnostiques binoculaires.
Lanalyse du tracé électro-oculographique vient en second, et en cas de "divergence" entre la clinique et lelectro-oculographie, cest la clinique qui lemporte. Mais de plus en plus, les renseignements apportés par lélectro-oculographie nous paraissent fiables et précieux, et actuellement nous essayons de faire un enregistrement chez tous les patients de plus de 6 ans; chez lenfant plus jeune, nous nous contentons dune épreuve optocinétique.
Nous allons étudier successivement trois points :
I - Étude des dyssynergies avec quantification
II - Étude du couple musculaire Droit interne - Droit externe par enregistrement des saccades (20° de part et dautre de la position primaire)
III - Recherche du nystagmus, particulièrement du Nystagmus manifeste latent, très fréquemment associé au strabisme, Nous insisterons surtout sur les deux premiers points.
LEXAMEN comprend pour un sujet strabique :
a - Poursuite pendulaire ou poursuite lisse sur 40°, les deux yeux ouverts, puis OD fixant, OG fixant.
b - Un examen des saccades : 20° à droite, 200 à gauche, avec arrêt en position primaire, OD fixant, OG fixant.
c - Une étude du Nystagmus optocinétique OD fixant, OG fixant.
La vitesse de déroulement du papier est de 3, 6 et l2mm/sec. Notre enregistreur a 6 pistes :
I - LÉTUDE DES DYSSYNERGIES
Définition : "on appelle dyssynergie, une différence damplitude du mouvement des yeux, à une distance ne faisant pas intervenir les mouvements conjugués de convergence.
Chez le sujet physiologique, les deux yeux effectuent un mouvement identique; il ny a pas de dyssynergie. En cas de strabisme ou de paralysie oculomotrice, le mouvement est différent pour chaque il, il y a dyssynergie.
Pour le physiologiste, lélectro-oculographie permet d1enregistrer le mouvement réel des yeux. Pour vérifier cela, nous avons donc mesuré lamplitude du tracé de chaque il, puis calculé les dyssynergies, et comparé le chiffre de dyssynergie à limportance de la déviation strabique.
Ce travail a été présenté à LYON en mai 1985, à la Société Française de Strabologie, pour les ésotropies. Disons demblée quil y a un lien indiscutable entre langle objectif et le chiffre de la dyssynergie; dans les ésotropies, PLUS LANGLE OBJECTIF EST ELEVE, PLUS GRANDE EST LA DYSSYNERGIE.
Mais voyons dabord les précautions à prendre pour calculer les dyssynergies
RÈGLES :
1 - Étalonner (chaque il effectue un tracé de 25mm sur le papier, après ré ajustage du gain).
2 - Une fois lenregistrement terminé, on mesure la valeur moyenne de lamplitude du tracé de chaque il, OD fixant et OG fixant, valeur parfois approximative, mais suffisante en clinique.
3 - Nous notons ces valeurs sur une fiche
1ère colonne verticale : OD fixant,
2ème colonne verticale : OG fixant,
3ème colonne verticale : le chiffre de la dyssynergie.
Là intervient un point capital, sur lequel les physiologistes ont beaucoup insisté :
LA DYSSYNERGIE NE DOIT PAS ÊTRE CALCULÉE EN COMPARANT LE MOUVEMENT DE LIL DROIT A CELUI DE LIL GAUCHE, MAIS ON DOIT MESURER LA DYSSYNERGIE DE CHAQUE IL POUR UN MOUVEMENT DONNÉ.
Dyssynergie de lil droit et dyssynergie de lil gauche, en comparant le mouvement fait par le meme il dans les deux situations différentes
QUAND IL EST FIXATEUR, QUAND IL EST DERRIÈRE LÉCRAN,
EXEMPLE :
Quand lil droit est fixateur, il va faire :
- en poursuite pendulaire, un mouvement de 40° damplitude, comme le spot lumineux,
- dans les saccades, un mouvement de 20° de part et dautre du zéro.
Quand lil gauche est fixateur, lil droit qui est derrière lécran fait un mouvement qui peut être :
Selon lamplitude du mouvement de lil sous cache, on peut distinguer deux types de dyssynergies :
1 - Le mouvement effectué par lil sous cache est plus faible que le mouvement fait par lil fixateur. On parle de DYSSYNERGIE CONFORME, ou de mouvement réduit de lil sous cache, Cest la dyssynergie que lon rencontre habituellement dans les ésotropies. Si lécart entre les deux tracé est de 4mm (4mm » 6°), nous notons DC : 0,4
2 - Le mouvement effectué par lil sous cache est plus ample que celui fait par lil fixateur Nous parlons alors de DYSSYNERGIE INVERSE, ou hypermétrie de lil sous cache, Ce type de dyssynergie se rencontre dans les exotropies (certaines exotropies).
Donc : Dyssynergie conforme = ésotropie
Dyssynergie inverse =
exotropie
Dans les paralysies oculomotrices, on trouve les deux types de dyssynergies. QUÉRÉ a insisté sur lécrasement constant du tracé de lil paralysé, WEISS sur lhypermétrie de lil sain, Ces deux éléments coexistent dans les paralysies oculomotrices
- dyssynergie conforme sur lil paralysé
- dyssynergie inverse sur lil sain.
Lorsque lil paralysé fixe, il y a hvnermétrie de lil sain, bien connue en clinique (la déviation secondaire est plus importante que la déviation primaire ), Ainsi, la dyssynergie trouvée est liée à limportance de langle objectif, mais celui-ci nest pas seul en cause.
Un autre facteur intervient, car chez lhomme, les mouvements sont limités latéralement en adduction et en abduction. Ce facteur que lon peut appeler "phénomène de butée mécanique" vient compliquer linterprétation du tracé, car il est responsable dune limitation du mouvement de lil sous cache, dans une direction : ceci se voit particulièrement bien dans létude des saccades de 20° de part et dautre de la position primaire.
Dans les ÉSOTROPIES, cest simple car le phénomène de butée mécanique entraîne une limitation du mouvement de lil non fixateur (donc une dyssynergie conforme ) qui sajoute à la dyssynergie conforme due à langle objectif. Du fait de lésotropie, lil non fixateur dévié en adduction a un mouvement réduit quand on sollicite son adduction; donc,
OD fixant : lOG en ésotropie a forcément un mouvement réduit dans les saccades à droite
OG fixant : lOD en ésotropie a un mouvement réduit dans les saccades à gauche et plus langle objectif est grand, plus grande est la dyssynergie conforme.
Ainsi, pour les ésotropies, cest simple : on trouve une dyssynergie conforme qui dépend de limportance de la déviation, La présence dune dyssynergie inverse indique quil y a des phénomènes parétiques surajoutés :
- parésie primitive
- parésie secondaire, iatrogène après chirurgie.
Dans les EXOTROPIES, cest apparemment plus compliqué. QUÉRÉ a signalé depuis longtemps que les exotropies présentaient peu de dyssynergies dissociés, "quelles sont relativement rares et dintensité modérée" (Physiopathologie de léquilibre oculomoteur). Nous avons effectivement trouvé ce fait. Mais si nous précisons le type de dyssynergie, nous dirons que :
- dans les exotropies modérées, on trouve une dyssynergie inverse, alternante le plus souvent
- mais plus langle est grand, plus discrète est la dyssynergie. Elle devient nulle et même se transforme en dyssynergie conforme dans les très grands angles.
Alors? Nous nous sommes demandés sil y avait un problème de répartition de champ électrique différent entre +20° et - 20° : nous avons fait des étalonnages soigneux des mouvements, 5°, 10°, 15° de part et dautre de la ligne médiane; le mouvement enregistré est bien le même que celui du signai. On devrait avoir une dyssynergie inverse proportionnelle à la déviation.
Si on fait appel aux phénomènes de butée mécanique, on peut comprendre ce qui se passe dans les exotropies Il y a limitation du mouvement, chaque fois que langle est grand. Du fait de lexotropie, on devrait avoir une dyssynergie inverse, cest à dire une hypermétrie de lil sous cache, mais à cause du grand angle, il y a limitation mécanique du mouvement de cet il. Il en résulte un mouvement réduit ou nul de lil sous cache : cest ce quon enregistre.
Les exotropies ont peu de dyssynergie : la dyssynergie inverse est plus importante dans les petites exotropies que dans les exotropies à grand angle. Ceci est particulièrement net dans les saccades,
En cas de PARALYSIE OCULO-MOTRICE, les phénomènes de butée mécanique peuvent intervenir également et compliquer linterprétation du tracé, En effet, lorsque lil paralysé est fixateur, il y a hypermétrie de lil sain (déviation secondaire), quon voit bien à la poursuite lisse. Mais cette hypermétrie peut être masquée par un phénomène de butée mécanique, notamment dans les saccades, quand langle est important. Au lieu davoir une dyssynergie inverse de lil sain maximum dans le champ daction du muscle paralysé, on a alors un mouvement nul, ou même une dyssynergie conforme.
Finalement, quand on analyse le mouvement de chaque il dans la poursuite lisse et dans les saccades, on doit tenir compte de 3 facteurs : le type de déviation et limportance de langle objectif qui conditionnent la position de lil non fixateur et le type de dyssynergie, les phénomènes de "butée mécanique", surtout nets dans les saccades quand on fait faire au sujet un mouvement dans le sens de la déviation
mouvement dadduction dans les ésotropies
mouvement dabduction dans les exotropies.
Ces phénomènes de butée mécanique interviennent moins lors de la poursuite lisse,
les phénomènes parétiques qui entraînent :
* une limitation du mouvement de lil parésie
* une hypermétrie de lil sain,
Le mouvement enregistré est la résultante de ces trois facteurs; de plus, langle objectif est susceptible de varier au cours de lenregistrement. Cest pourquoi, on a demandé que dans lappareil de lINSERM, on puisse avoir tout au long de lenregistrement, à la fois la déviation objective et le chiffre de la dyssynergie (celle-ci devant peut-être sexprimé en % du déplacement de lil, ou directement en degré).
Si on veut analyser correctement le mouvement de chaque il, il faut essayer de faire la part de chacun de ces trois facteurs,
II - ÉTUDE DU COUPLE MUSCULAIRE DROIT INTERNE - DROIT EXTERNE
Si on pense que le mouvement enregistré correspond bien au mouvement réel de lil, on va pouvoir avec létude des saccades 20° à droite et à gauche de la position primaire, enregistrer un examen sous écran, et ainsi tester lactivité des muscles horizontaux droit externe et droit interne,
Cest ce quon fait en clinique dans lexamen sous écran en occlusion alternée demblée : dans le regard à droite par exemple, si un il effectue un mouvement moindre, cest que le muscle qui commande ce mouvement est déficient. Dans le regard à droite, le droit externe droit commande le mouvement de lil droit, le droit interne gauche commande le mouvement de lil gauche.
Sur le tracé, nous allons étudier la manière dont la saccade est réalisée, lorsque lil est fixateur :
- OD fixant :
saccade à droite sous la dépendance du droit externe droit
saccade à gauche sous la dépendance du droit interne droit
- OG fixant :
saccade à droite sous la dépendance du droit interne gauche
saccade à gauche sous la dépendance du droit externe gauche.
Évidemment, cette étude suppose une commande centrale de la saccade correcte, donc un état neurologique normal.
Pour étudier correctement les saccades, il faut enregistrer en vitesse 15 mm/sec,; on verra mieux les altérations suivantes :
- saccades hypométriques, lorsque le mouvement est déficient
- retour en position primaire anormal (saccades hypométriques ou simple diminution de la vitesse), traduisant un spasme ou une contracture dun muscle, le plus souvent sur les droits internes
- on peut aussi trouver des saccades hypermétriques :
sur lil fixateur
sur lil sous cache : simple hypermétrie quand le mouvement de lil fixateur est limité,
Les SYNDRÔMES DE RÉTRACTION, STILLING-DUANE surtout, montrent des tracés très intéressants, où sassocient :
- une dyssynergie de type parétique :
Dyssynergie conforme il atteint, dyssynergie inverse il sain avec limitation de labduction et de ladduction également.
- une hvperaction du droit interne de lil sain,
Ainsi, lélectrooculographie nous apporte, avant létape chirurgicale, des renseignements sur la dynamique des muscles horizontaux. Létude des saccades est peut être un moyen dapprécier le degré délasticité des muscles, donc de se faire une idée des facteurs visco-élastiques avant intervention.
Actuellement, nous essayons de voir sil y a un rapport entre les altérations des saccades et le test délongation musculaire : il est trop tôt pour donner les résultats.
III - ÉTUDE DU NYSTAGMUS
Je dirai seulement que nous suivons dans le service depuis de nombreuses années des sujets nystagmiques : rééducations de différents types :
- amélioration de la vision binoculaire
- traitement par la Post-Image, en vue daméliorer le blocage de certains nystagmus
- traitement prismatique puis chirurgical.
Létude électro-oculographique nest arrivée quaprès, mais a été passionnante, car elle nous a aidé à connaître très rapidement le type de nystagmus, ses possibilités de traitement; nous avons compris certains échecs thérapeutiques (par exemple des traitements binoculaires dans les nystagmus manifeste latents : on n ~arrive jamais à guérir le sujet dans lespace).
Cette étude a été très facilitée par le travail dAnnette SPIELMANN dans le rapport de la Société dOphtalmologie, et a pleinement confirmé limportance de la distinction quelle fait entre Nystagmus Congénital Essentiel et Nystagmus Manifeste Latent.
Nous éliminons aujourdhui complètement les nystagmus congénitaux essentiels, qui sont avant tout des nystagmus, et secondairement des strabismes, et nous dirons quelques mots des nystagmus manifestes latents, qui sont avant tout des strabismes, le plus souvent convergents, et secondairement des nystagmus (bien que dans certains cas, le nystagmus soit au premier plan).
Les strabismes précoces, avant 8 mois, présentent souvent des signes de nystagmus manifeste latent, avec sur lenregistrement électro-oculographique comme en clinique, certains nystagmus très manifestes et dautres très latents.
Je rappelle les caractéristiques du nystagmus de type manifeste latent : nystagmus à ressort, discordant, disparaît en binoculaire, diminue sur lil en adduction (incongruence).
Dans tous les nystagmus manifeste latents, il y a altération de la réaction optocinétique en monoculaire on obtient une réponse asymétrique selon le sens de rotation du tambour :
- réponse normale pour la sollicitation temporo - nasale
- réponse perturbée pour la sollicitation naso - temporale.
Cette réponse anormale pour la sollicitation naso - temporale peut être diminuée, abolie ou inversée,
Réponse asymétrique bidirectionnelle uni ou bilatérale.
On obtient ce type de réponse dans les strabismes précoces, survenus avant 8 mois, aussi bien dans les ésotropies que dans les exotropies, et même dans certains strabismes congénitaux verticaux constants (type paralysie des 2 élévateurs dun il),
Par contre, les strabismes congénitaux qui ont une position dorthophorie (paralysie congénitale du VI, syndrome de rétraction) nont pas ce type daltération du nystagmus optocinétique, ni dailleurs de nystagmus latent,
En 1979, ATKINSON a montré que chez lenfant, pendant les 3 premiers mois de la vie, la réaction optocinétique est asymétrique (on na une réponse optocinétique que pour une sollicitation temporo-nasale) elle devient symétrique à partir du 4ème mois quand la vision binoculaire sinstalle.
En 1983, Joyce MEIN, en collaboration avec KOMMERELL, publie une étude très intéressante sur la réaction optocinétique asymétrique chez lenfant; elle précise que :
- les deux yeux ouverts, la réponse optocinétique est normale,
- en monoculaire, les sujets qui ont une ésotropie ou une exotropie, avec DVD et nystagmus latent, ont une réponse asymétrique entre la sollicitation temporo-nasale et naso-temporale.
- chez deux sujets qui ont un strabisme, une DVD, mais pas de nystagmus, elle trouve la même réponse asymétrique.
- elle signale quun patient qui a un syndrome de DUANE avec ésotropie a une réponse optocinétique normale,
- enfin, que létat de la vision binoculaire ne semble pas intervenir, une réponse normale ayant été obtenue chez des patients ayant soit une correspondance rétinienne normale, soit une correspondance rétinienne anormale,
Depuis 1 an et demi, nous étudions systématiquement la réponse optocinétique des enfants de moins de 4 ans, et nous trouvons une réponse altérée pour la sollicitation naso-temporale chaque fois quil existe un nystagmus de type manifeste latent, mais également dans les cas où le nystagmus est absent en clinique, mais où le strabisme est apparu avant 6 à 8 mois,
Il semble que la présence dun nystagmus latent ne soit pas seule en cause pour obtenir une réponse optocinétique asymétrique pour une sollicitation temporo-nasale ou naso-temporale, mais que la précocité de la déviation soit également un élément déterminant si le strabisme existe avant la période où normalement apparaît la réponse optocinétique à la sollicitation naso-temporale (vers 4 à 5 mois, quand la vision binoculaire sinstalle), la réponse optocinétique reste asymétrique,
Ce qui pose le problème de la signification du nystagmus latent et du lien qui existe entre nystagmus manifeste latent et perturbation de la réponse optocinétique.
Je terminerai en disant que létude de la réaction optocinétique chez lenfant me parait extrêmement intéressante : nous la faisons systématiquement; elle est facile à faire et peut nous permettre de mieux connaître lâqe de début du strabisme et les différentes formes cliniques des strabismes de lenfant,
Cette réaction optocinétique ne nous renseigne pas sur létat sensoriel (CRN ou CRAn), mais peut être considérée comme le témoin dune expérience visuelle binoculaire au moment de la période critique (4 mois - 9 mois), avec maturation des voies visuelles nécessaire au développement dune vision binoculaire normale. Si cette maturation ne se fait pas au cours de la 1ère année, une guérison totale fonctionnelle du strabisme est évidemment illusoire.
(Dernière mise à jour de cette page le 28/05/2006)