ÉSODÉVIATION ET BLOCAGE DE NYSTAGMUS
Annette SPIELMANN
(Nancy)
On a opposé dans la plus grande confusion deux types désotropies.
I - Les ésotropies par blocage de nystagmus de Cüppers (1) : la déviation varie avec leffort de fixation. Lexcès dinnervation envoyé aux droits internes, fixe lil en adduction, bridant labduction, entraînant une pseudo-paralysie des droits externes décrite également par Ciancia (2). Pour Cûppers et Adelstein (1966) laugmentation de linnervation envoyée aux droits internes - adduction ou convergence, sans quil soit possible de préciser - est destinée à bloquer un nystagmus, décelable ou non, Elle est responsable des signes cliniques groupés sous le terme de "syndromes de blocage", tableau repris par nombre dauteurs et qui na plus guère à voir avec les conceptions de Cüppers,
II - Les ésotropies précoces (3) : elles associent en général une ésodéviation, souvent une divergence verticale dissociée et un nystagmus de type latent. Une pseudo paralysie des droits externes y est également rencontrée. On peut se demander :
- sil est un lien unissant ces deux types désotropies où le nystagmus est omniprésent.
- si le terme "blocage de nystagmus" est létiquette pathogénique quon peut accoler à la clinique de la majorité des ésotropies précoces.
- plus simplement, si les ésotropies par "blocage de nystagmus" existent réellement.
En effet, cette pathogénie des ésotropies a été adoptée ou rejetée de façons diverses. Du point de vue clinique, Weiss (4) montre que dyssynergies et manuvres de Cüppers sont avant tout le fait dun grand angle. Pour Kommerell (5) et Quéré (6), strabismes et nystagmus sont deux phénomènes distincts; le lien qui existe entre eux reste à trouver. Récemment, Von Noorden a démontré "la réalité des syndromes de blocage" en même temps que leur rareté (7). Pour DellOsso (8), il existe une confusion certaine entre les phénomènes observés dans les différents types de nystagmus, congénitaux et manifestes latents et les ésotropies par blocage de nystagmus, décelables à lENG, rarissimes sont le fait des nystagmus congéniaux essentiels.
Jaimerai montrer au moyen dun film :
- que dans les èsodéviations avec nystagmus latent, une convergence de lil occlus vers lil fixateur (bien visible sous écran translucide) (9,10) apparaît lors de la fixation monoculaire, en même temps que le nystagmus et quune DVD éventuellement. Cet "excès de convergence" est contemporain du nystagmus et persiste avec lui tant que les phénomènes de compensation adduction ou fixation binoculaire ne sont pas apparus.
- et que, par contre, dans les nystagmus de type congénital essentiel avec "blocage en fixation rapprochée" un "excès de convergence" en fixation de loin est reproductible.
ÉTUDE CLINIQUE
I - Dans les NYSTAGMUS DE TYPE LATENT, on sait quun nystagmus apparaît (ou sexagère) à locclusion dun il. On peut observer également une élévation de lil occlus (due à un excès de sursumversion) (11, 12) si une DVD est présente dans le cas examiné. On sait moins quun "excès de convergence" survient également au même moment. Ces réflexes anormaux sont déclenchés par la fixation monoculaire alors quils ne sont plus pris en charge par la fusion périphérique.
On peut, grâce aux écrans translucides, filmer comme nous allons le voir ces différents éléments et établir ainsi plus facilement leur chronologie.
Jai choisi de montrer la chronologie des phénomènes dans un cas de "pseudo" ésophorie docclusion particulièrement démonstratif en raison de la séparation bien tranchée, comme au ralenti, des phénomènes divers.
FILM
Il sagit dune petite fille pratiquement emmétrope, présentant une ésophorie, un nystagmus et un torticolis, supérieur à 40 degrés, tête à droite, parfois tête à gauche.
ENG : Le nystagmus revêt toutes les caractéristiques dun nystagmus de type latent. Cest un nystagmus à ressort, qui bat à droite quand lil droit est fixateur, et à gauche quand lil gauche est fixateur, et disparaît mais partiellement en fixation binoculaire, Cest un nystagmus manifeste latent. Il se calme en adduction, augmente en abduction la vitesse de sa phase lente est décroissante (figure 1).
Clinique : En fixation binoculaire, il existe une rotation de la tête vers la droite lors de la fixation attentive sans ésodéviation (figure 2c), Ce torticolis est lié à une position dadduction de lil droit dominant. Il s inverse lorsque lil gauche prend la fixation spontanément ou par occlusion, Lacuité binoculaire est de 8/10 à léchelle de Monoyer dans le regard à droite et à gauche, 5/10 tête droite.
En position primaire, il existe une orthophorie assez instable avec un "Bagolini" positif et un nystagmus discret occasionnel lorsque leffort de fixation est important.
* Sous occlusion translucide bilatérale, les deux yeux sont en position dorthotropie grossière et la tête est droite (figure 2a et 3). La manuvre des écrans translucides simultanés est importante : elle permet de partir dune position tête droite sans nystagmus puisquil ny a pas de fixation (figure 2).
* Sous écran translucide monolatéral, lorsque locclusion de lil droit est supprimée et que cet il prend la fixation (figure 2b) :
1) Tête droite, on voit apparaître au même moment un nystagmus à ressort vers la droite sur les deux yeux et une ésodéviation de lil gauche occlus, Nystagmus et ésodéviation PERSISTENT et COEXISTENT tant que la tête reste droite; ils augmentent simultanément à leffort de fixation. Lésodéviation que lon a pu appeler "dynamique" peut alors atteindre 40 dioptries prismatiques sans que pour autant le nystagmus soit supprimé. Lésodéviation ne bloque donc pas le nystagmus (je parle pour ces cas de pseudo-ésophorie puisque la position statique sous écrans bilatéraux et dans lobscurité (figure 3) est une orthotropie). Lacuité monoculaire nest alors que de 3/10.
FIGURE 1: Examen électronystagmographique, Il sagit dun cas typique de
nystagmus manifeste latent.
a) En fixation binoculaire, le nystagmus est manifeste quoique très atténué, Le
nystagmus bat à gauche: lil gauche est lil dominant au moment de
lexamen, probablement parce que celui-ci a démarré en fixation latérale gauche
(OD dominant de façon habituelle). Le nystagmus satténue donc alors dans le regard
à droite,
b) En fixation de lil droit, le nystagmus est à ressort, battant vers la
droite. Sa phase lente (flèche) est à intensité décroissante (DellOsso). Il se
calme dans le regard à gauche, cest à dire en adduction de lil droit.
Lincongruence du nystagmus décrite précédemment (14) est bien visible sur la
différentielle : lamplitude du nystagmus de lil gauche est plus
importante que celle de lil droit bien que lil droit soit
lil fixateur : phénomène inverse dune dyssynergie.
c) En fixation de lil gauche, le nystagmus bat à gauche et se calme dans le
regard à droite, Incongruence du nystagmus plus ample sur lil droit situé en
abduction,
FIGURE 2 : Cas dune "pseudo" ésophorie avec nystagmus manifeste
latent.
a) Sous écrans translucides bilatéraux, il existe une orthoposition SANS nystagmus.
b) A la désocclusion dun il, ici lil droit, apparaissent un
nystagmus et un "excès de convergence" qui persistent simultanément tant que
la tête est droite et que lil gauche est occlus, Il sagit dune
PSEUDO ésophorie puisque la position de repos des yeux est une orthotropie.
c) Le nystagmus et (la plupart du temps mais pas toujours) lexcès de convergence
cessent lorsque lil droit prend une position dadduction, Tous ces
phénomènes sont confirmés par lexamen électro-nystagmographique.
2) Ce nest que secondairement, avec ladoption dune position de fixation en adduction de lil droit que le nystagmus disparaît et que lacuité passe à 7/10. Selon les moments et les cas, "lexcès de convergence" de lil occlus peut ou non persister. Dans ce cas, comme nous le voyons figure 1 et sur le film, il a tendance à disparaître.
Les phénomènes sont identiques, symétriques mais moins importants lorsque lil droit est occlus,
La chronologie des phénomènes observés dans le cas présenté est donc la suivante :
1) la position en fixation binoculaire est une orthoposition assez labile, Un nystagmus occasionnel peut apparaître lorsque leffort de fixation est important, il disparaît en latéroversion sans ésodéviation.
2) la "position de repos statique sous occlusion translucide bilatérale est une "orthoposition" stable (figure 2)
3) la fixation monoculaire causée par la "désocclusion" dun il entraîne à la fois un "excès de convergence" et un nystagmus latent, Nystagmus et ésodéviation coexistent.
II - Dans les NYSTAGMUS CONGENITAUX ESSENTIELS, le blocage dun nystagmus par la convergence est un phénomène courant, Mais il sagit dune convergence physiologique de vitesse normale, nentraînant pas de perte de parallélisme, et non dun excès de convergence,
Toutefois, le mécanisme de convergence peut être utilisé de loin spontanément pour bloquer le nystagmus.
a) Lors dune convergence volontaire, comme la montré Bagolini (13)
b) Après un port prolongé de prisme, base temporale, utilisé pour tester les possibilités de la chirurgie de mise en divergence artificielle mise au point par Cüppers (1). À la longue, se constituent une hypertonie des droits internes et une ésotropie de loin avec diplopie, transitoires, lorsque les prismes sont enlevés. Une ésotropie par "blocage de nystagmus" est ainsi créée. Il est donc vraisemblable quelle puisse se produire spontanément.
COMMENTAIRES
1- Dans le cas désophorie-tropie présenté, nystagmus de type latent et "excès de convergence" sont déclenchés simultanément, coexistent et sintensifient tous deux lors dun effort de fixation : lésodéviation NEST PAS un phénomène de blocage. Ce cas est facilement observable, il nest pas unique. Jusquà présent, jai toujours retrouvé cette chronologie dans les cas identiques de nystagmus latents avec ésophorie.
De la même façon, on peut TOUJOURS constater que lhypertropie de lil occlus dans les DVD est contemporaine du nystagmus et donc non bloquante.
Les phénomènes me semblent identiques, mais plus difficiles à mettre en évidence dans les ésotropies manifestes qui ne se détendent que partiellement dans le noir ou sous occlusion translucide bilatérale (ésoposition statique) où ladduction saccompagne forcément dune ésodéviation et où le nystagmus est un micronystagmus, Mais bien sur, il est fort tentant dextrapoler.
Il faut certes se garder des généralisations abusives mais il semble bien que dans les ésotropies de lenfance avec nystagmus de type latent lexcès dinnervation des droits internes déclenchés par la fixation attentive, notamment lors de la fixation monoculaire, naie pas comme finalité le blocage dun nystagmus.
2- Par contre, il est vraisemblable que le blocage de nystagmus par une ésodéviation existe spontanément dans certains nystagmus congénitaux essentiels puisquil est parfois possible de les recréer.
CONCLUSION
Lutilisation des écrans translucides permet sans aucun doute une observation beaucoup plus facile, plus directe des phénomènes qui se produisent lors dun cover test, unilatéral ou bilatéral. Les éléments cliniques et notamment les mouvements peuvent ainsi être fixés par la caméra comme le cas particulièrement démonstratif désodéviation avec nystagmus latent qui vient dêtre présenté.
Il semble difficile de nier la réalité désotropie par blocage du nystagmus dans les nystagmus congénitaux essentiels avec blocage en fixation rapprochée, où une ésodéviation tonique de loin peut être obtenue par un port de prismes prolongés ou par la convergence volontaire. Mais, comme la décrit DellOsso, elles ne sont que le seul fait des nystagmus congénitaux essentiels. Elles sont probablement comme lont décrit Von Noorden et DellOsso extrêmement rares.
Par contre, létude de la chronologie des phénomènes montre que dans le cas désophorie-tropie, nystagmus de type latent, ésodéviation horizontale (et parfois DVD) sont contemporains comme ils le sont dans le cas de démonstration. Ils coexistent tant que la tête est droite et la fixation monoculaire. L'excès de convergence ne bloque pas le nystagmus. Celui ci disparaît secondairement lorsquune position de fixation en adduction est adoptée ou que lélément déclenchant, cest à dire labsence de fusion ou la fixation attentive, est supprimée.
Dans ces types de déviations avec nystagmus latent, on ne peut donc relier à un phénomène de blocage de nystagmus :
- ni lexcès de sursumversion causant lhypertropie de lil caché lorsquune DVD est présente,
- ni lexcès de convergence responsable de la majorité des signes cliniques des syndromes de blocage.
Mais bien entendu, ces considérations pathogéniques ne changent en rien le traitement chirurgical.
RÉFÉRENCES
(1) Adelstein F., Cüppers C, : Zum problem der echten und der scheinbaren abducens Lahmung (Das sogenannte "Blockierungs Syndrom"). Buech Augearzt. 46:271-278, 1966
(2) Ciancia A. : Esotropia en el lactante, diagnostico y tratamiento. Arch. Chil. Oftal, 19:117-124, 1962
(3) Lang J. : Der kongenitaler oder fruhkindliche strabismus. Ophthalmologica 154:201-208, 1967
(4) Weiss J-B. : Le "blocage" existe-t-il ? Jour. Fr. Ophtal. 2:715-722, 1979
(5) Kommerell G. : Beziehungen zwischen strabismus and nystagmus. Augenbewegungsstorungen. Disorders of ocular motility. DOG-Symposium 1977, J.F, Bergmann Verlag, Munchen, 367-373, 1978
(6) Quéré M.-A. : Physiopathologie clinique de léquilibre oculomoteur. Masson, Paris, 1983
(7) Von Noorden G.K. : Nystagmus blockage syndrome : revisited, In Strabismus II. Reinecke Ed., Grune & Stratton, New York, 75-82, 1984
(8) DellOsso L.F. : The nystagmus blockage syndrome. Investigative Ophtal. and Visual Science, 24: 1580-1587, 1983
(9) Spielmann A, : Lécran translucide, Conférence au CERES (Cercle dEtudes, de Recherche et dEnseignement de la Strabologie) Paris, février 1985
(10) Spielmann A. : A translucent occluder for studying the position of the eyes under a unilateral and a simultaneous cover test. American Academy of Certified Orthoptists. San Francisco, sept.1985. American Orthoptic Jr. 36:65-74, 1986
(11) Spielmann A. : The translucent occluder. A useful diagnostic tool in esodeviation and DVD. In: Proceedings of the International Symposium of Strabismological Association, mai 1986, E.C.Campos Ed,, ETA, Modena 203-210, 1986
(12) Spielmann A. : Les DVD, excès de sursumversion lié à la fixation. S,F.O, mai 1986, Bull. et Mem. Soc. Fr. Ophtalm. (à paraître)
(13) Bagolini B. : Orthoptic and prismatic treatment of congenital nystagmus. In Strabismus. R. ,D. Reinecke Ed. Grune & Stratton, New-York 191-201.1978
(14) Spielmann A. Nystagmus congénital essentiel et nystagmus congénital manifeste latent. Congrés dOrthoptie. Paris, mai 1985. Jr. Fr. .dOrthoptie 18:21-35, 1986
(Dernière mise à jour de cette page le 28/05/2006)