LÉDUCATION ET LA RÉÉDUCATION VISUELLE DE LENFANT ET DE LADULTE DÉFICIENTS VISUELS
Christine AKTOUCHE - CONROY
(Bordeaux)
PHILOSOPHIE PASSÉISTE
Les déficients visuels, les malvoyants, les amblyopes ou les aveugles car, tout cela
était blanc bonnet et bonnet blanc, tous, même réunis sous le seul nom
dhandicapés, nintéressaient souvent lophtalmologie que dans le soin,
réduisant la fonction visuelle de ces personnes à un état organique isolé.
Jen parle en connaissance de cause, travaillant avec ces enfants handicapés depuis 1976 et avec leurs aînés à carte dinvalidité ou dadultes handicapés, ça rapporte, pourquoi sen priver depuis 1986.
Donc, lophtalmologiste avançait bien souvent un pronostic visuel et mettait de côté toute la capacité déducation ou de rééducation visuelle fonctionnelle du patient.
Le poids de la référence du savoir médical est tel lors de ces consultations angoissées que la réponse est plus attendue que bien entendue. Réfugiant une éventuelle émotion, ou se référant surtout à la rigueur scientifique. le médecin répondra par lacuité visuelle tant espérée.
Les habituelles phrases "il aveugle", "perception lumineuse", "ne verra que des formes, des ombres", les chiffres catastrophiques, 1/200, 1/100, 2/100, pointent toujours le manque et participent au traumatisme de lannonce du handicap dune part et à la migration du tour des ophtalmologistes de France et de Navarre, dautre part.
Cette accumulation de consultations augmentant lémotion, la déception ou le faux espoir qui sen suivent, favorisent aussi la culpabilité de lenfant. Dans le regard que ses parents, blessés narcissiquement, portent sur lui, il perçoit avec leur douleur, leur déception davoir un tel enfant.
Quand on sait que cest beaucoup à travers cet échange de regards que lenfant pourra construire une certaine image de soi, on comprend que cette perversion dans la qualité des regards sera un support du potentiel organique latent dincapacité au désir de voir. Répondre à limage que médecins, famille, société ont et attendent de soi devient plus adéquat à lenfant dans sa quête damour.
Ainsi, à la déficience visuelle organique, sajoute une déficience visuelle fonctionnelle par moindre utilisation du potentiel perceptif et cognitif qui permet à chacun de nous, de construire notre capacité visuelle à force dexpériences visuelles, et de léchange psycho-affectif rayonnant autour de lil , donc autour de notre désir dêtre vu et de regarder.
Rien à voir évidemment avec la législation encore en vigueur limitant la fonction visuelle à lacuité. Les déficients visuels sont étiquetés aveugles si leur A.V est inférieure ou égale à 1/20 et laccès aux institutions spécialisées sadresse aux enfants dont lA.V nexcède pas 4/10. Encore ces chiffres sans corps ni tête.
PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE
Il y a les Menines de Velasquez, celles de Picasso et trois siècles entre ces deux
regards... Espérons quen cette fin du siècle de la vitesse, les regards portés
sur les déficients visuels se déplacent moins lentement...! Mais un certain temps de
maturation est certainement nécessaire à la vie des idées "nouvelles".
Lorganisation mondiale de la santé, dans sa définition du malvoyant a banni la référence à lacuité visuelle, mettant en avant celle de capacité à utiliser ou non sa fonction visuelle.
Les Etats Unis dés 1960 publient leurs premières recherches faisant apparaître que 60 % des enfants aveugles légaux répertoriés utilisaient les caractères dimprimerie normaux, le noir, et non le braille.
N. Barraga écrivait, déjà en 1964 "... quelques enfants et adultes ont une déficience visuelle si sévère quils ne peuvent eux-mêmes ni leur entourage entraîner leur vision fonctionnelle sans létablissement dun programme dapprentissage spécialisé. Elle publie "Increased visual belaviour in low vision children" et en 1969 "Learning efficiency in low vision".
Dès 1971, la Suède propose à "ses aveugles" des cours intensifs de réhabilitation et estime que 80 % des adultes aveugles ont une possibilité de vision fonctionnelle.
Backman et Inde publient en 1971 "Low vision training", alors que tous les enfants déficients visuels suédois sont intégrés en milieu scolaire banal.
En Grande-Bretagne, M. Tobin publie en 1973 une étude sur lentraînement visuel chez les enfants classés daveugles. Il édite en 1971 "Look and think : a handbook ou visual perception for visually handicapped children". LAllemagne et la Suisse suivent ces mouvements dès 1980 et lEspagne inaugure en 1985 ses premiers centres dentraînement visuel pour malvoyants.
La France, organise finalement des cours sur la rééducation fonctionnelle des adultes D.V acquis, à IIRRECA de Toulouse en 1985 avec K. Inde où nous sommes cinq orthoptistes parmi les ergothérapeutes et à Marly le Roy en 1987 avec N. Barraga et deux orthoptistes seulement.
En Suisse, pour suivre les cours de N. Barraga sur léducation visuelle des enfants D.V. en 1986, jétais la seule orthoptiste, mais bénéficie des connaissances des ergothérapeutes, psychologues, enseignants et opticiens spécialisés.
"Nos" ophtalmologistes sont en train de faire ce même mouvement portant un autre regard sur leur patient et non plus essentiellement à travers léclairage de Iophtalmoscope ou de la lampe à fente.
Le mouvement qui sébauche aujourdhui en France va nous permettre déduquer ou de rééduquer la vision fonctionnelle des personnes déjà soignées sur le plan ophtalmologique et douvrir notre activité à ce travail passionnant.
LES MOYENS
Si AV = chiffre, lévaluation visuelle fonctionnelle est elle, une observation
non quantifiable, liée au sens psychologique et perceptif de chacun à partir dune
certaine expérience et des grandes règles suivantes.
L'ENFANT DÉFICIENT VISUEL CONGÉNITAL : DIAGNOSTICE ET ÉDUCATION VISUELLE
Il existe un potentiel visuel fonctionnel dès que la lumière passe dans
lil, soit directement, soit à partir dun reflet dobjet, même si
lERG ou les PEV sont plats.
Il ny a réaction à la stimulation lumineuse que sil y a désir déchange de regards et expériences psycho-affectives constructives possibles, donc si lenfant est actif.
Si le D.V. reçoit moins dexpérience visuelle quun autre enfant, il surhandicape déjà son potentiel visuel perceptif au niveau cortical.
La fonction visuelle nest pas innée, elle est toujours une construction globale.
Bilan
Dans les cases ci-dessous, indiquer la maîtrise ou la non maîtrise de lenfant sur
chaque question plus (+) = maîtrise : moins (-) = non maîtrise. On peut permettre à
lenfant de corriger lui même lerreur au cours dune réponse et on peut
lui donner la note +.
Sil y a plusieurs réponses de données au cours dune question, noter maîtrise ou non maîtrise pour chaque réponse.
Lappréciation positive dun test exige lexécution de chaque réponse visuelle spécifiée dans le sens des directives données.
La place prévue pour les commentaires en face de chaque question est prévue pour que Iorthoptiste y introduise des renseignements
a) la manière daborder lépreuve.
b) pertinence de ses remarques verbales.
c) des différents comportements qui mettent en valeur ou sopposent à sa
performance visuelle.
d) lutilisation de son aide optique, type daide et moyen dutilisation.
e) et la distance, variations différences distances.
Appréciations et commentaires :
- Réponse visuelle à la lumière (noter la distance)
- Evolution visuelle de lobjet (noter distance)
- Motilité suivant la position
- Réflexe de poursuite des objets (noter la distance)
- Reconnaissance visuelle et déplacement vers lobjet à distance (noter la distance )
- Conserve contact visuel avec lobjet et se déplace dans la direction de lobjet
- Localisation à travers le champ visuel.
- Observation des objets, manipulations et être capable de les décrire
- Observation et reproduction de lignes
- Assortir des objets visuellement par la forme
- Reconnaissance visuelle de tracés caractéristiques.
- Faire observer des objets qui vont ensemble pour faire:
- Classer les objets par couleurs
- Assortir des tracés de formes
- Assortir par ordre de taille
- Reconnaissance du contour des objets
- Tracer des formes après observation du modèle
- Identifier la forme des objets
- Observer des images et disposer les images qui vont ensemble
- Assortir objets et dessins
- Choisir les objets en se servant dun seul détail à lintérieur
- Identifier et classer des images par catégories de noms
- Groupes: (préciser la distance et le grossissement de lobjet)
- Reconnaître la position sur les images au-dessus de la tête
- Identifier les éléments seuls sur les gravures Vision extérieure
- Identifier objets sur images daprès des éléments partiels
- Assembler les mêmes parties dune image pour former:
Prise de conscience et utilisation de la vision périphérique
Léducation visuelle de ces enfants, atteints majoritairement dans leur vision
centrale, doit laisser une place capitale à la prise de conscience et à
lutilisation de la vision périphérique.
Non seulement il sy trouve encore suffisamment de cônes pour ne pas négliger leur apport qualitatif, mais encore la vision périphérique est à la base du développement moteur et de la statique corporelle dans lespace tridimentionnel.
Le travail en vision périphérique doit ainsi libérer le geste graphique facilitant lapprentissage de lécriture commune en noir, même si le braille est utilisé sur le plan de lefficacité.
Noublions pas pour en finir avec léducation visuelle des enfants dâge préscolaire et scolaire, que ce que la personne regarde agit comme stimulant du mouvement.
La vision se développe en relation avec les autres sens et par lutilisation de la vision en liaison avec lappareil moteur dans le déplacement du corps.
LADULTE DÉFICIENT VISUEL ACQUIS
Chez le grand enfant, comme chez ladulte, le cerveau a développé,
antérieurement à la déficience visuelle, ses capacités perceptives et cognitives le
corps sest situé dans lespace trimentionnel et à su aborder la bi-dimension
spatiale de la feuille écrite ; la mémoire visuelle est riche dimages engrangées
permettant de penser visuellement et donc de percevoir instantanément lhabilité
graphique et les codes de la lecture sont déjà totalement assimilés.
Il nous reste, une fois la période de deuil passée et une fois le handicap accepté, à appliquer la méthode de réadaptation en fonction du groupe dappartenance pathologique.
Les quatre groupes
Les personnes déficientes visuelles sont divisées en 4 groupes et appartiennent à un ou
plusieurs groupes en fonction des symptômes liés à leur atteinte.
1) Personnes ayant un scotome central (atteinte de la vision maculaire)
2) Personnes ayant beaucoup de difficultés à contrôler leurs mouvements oculaires (nystagmus)
3) Personnes ayant une limItation du champ visuel périphérique mais ayant gardé une vision centrale.
4) Personnes ayant dautres formes de malvoyance profonde (hypermétropie, myopie grave ou maligne, rétinopathie diabétique...)
Groupe 1 - Scotome central
Étant donné que ces personnes ne peuvent utiliser la macula, elles doivent
apprendre à regarder au-dessus ou en dessous des objets, de manière à ce que
limage tombe au-dessus ou en dessous du scotome central. Quand on séloigne de
la macula, la densité des cônes diminue et la netteté de limage aussi. En
compensation, on doit agrandir limage en tenant compte de lendroit où
celle-ci va tomber par rapport à la fovéa.
La nouvelle "fausse" macula est déterminée en fonction de la taille du scotome. Il est fondamental de placer limage (par la vision paracentrale) le plus près possible du scotome pour limiter au maximum lagrandissement nécessaire et minimiser langle de vision paracentrale. Plus limage séloigne de la fovéa , plus lagrandissement doit être important et plus la distance de lecture est courte. Le choix dun point de fixation au-dessus ou en dessous du texte est déterminé par la nature du scotome (voir aussi Goodrich & Quiliman, 1977).
Pour réussir à utiliser la vision paracentrale, la personne doit connaître son champ visuel et comprendre le procédé. Elle peut alors savoir de combien de degrés elle doit excentrer son regard.
La personne doit apprendre à bouger le texte et en même temps à bien placer son il, avec la correction optique (verre plastique asphérique et positif de forte puissance).
Les lecteurs ayant une vue normale déplacent leurs yeux par petites saccades. La lecture seffectue pendant les pauses.
La distance courante de lecture est de 35 à 45 cm alors que celle dune personne déficiente visuelle va de 2 à 10 cm.
Habituellement, on nutilise pas les champs visuels temporaux et nasaux; mais, la lecture se faisant en Occident dans un plan horizontal, il faut rechercher un champ de fixation aussi large que possible, dans ce plan, pour améliorer la vitesse de lecture.
Groupe 2 - Nystagmus
Ces personnes doivent aussi apprendre une nouvelle méthode de lecture, en
déplaçant la tête plutôt que les yeux. Les yeux peuvent ainsi rester aussi immobiles
que possible dans la position où le nystagmus est le moins marqué.
De plus, il faut éviter laccommodation et la convergence qui peuvent dans certains cas accentuer le nystagmus, de même que locclusion monoculaire.
Groupe 3 - Perte de la vision périphérique
Les personnes qui ne peuvent utiliser la rétine périphérique mais qui ont
encore une vision centrale, constituent le 3ème groupe.
Elles peuvent avoir du mai à se déplacer seules sans canne, sans chien ou sans aide de déplacement. Avec des aides optiques procurant un agrandissement relativement faible (calculé en fonction de lacuité visuelle), ces personnes peuvent lire les caractères courants dimprimerie.
Leurs problème est de ne voir, à chaque fixation, quun petit nombre de lettres, ce qui ralentit leur vitesse de lecture. Elles doivent donc apprendre à déplacer les yeux sur de courtes distances à chaque fois et à faire des arrêts plus fréquents sur chaque ligne. Une autre façon de lire est de garder les yeux immobiles et de bouger le texte dans le champ central.
Quand les agrandissements optiques sont encore trop faibles, on peut utiliser un circuit fermé de télévision, offrant un grossissement pouvant atteindre jusquà 45 fois.
Groupe 4 - Malvoyance profonde
Le 4ème groupe est constitué par les personnes malvoyantes profondes (vision
faible sans lésion organique détectable de lil). Cette malvoyance peut être
causée par un strabisme négligé avec atteinte ultérieure du meilleur il, par une
myopie ou une hypermétropie graves et par une rétinopathie diabétique. Ces personnes
peuvent souvent lire normalement (sans excentrer le regard, sans bouger la tête à la
place des yeux) mais elles doivent utiliser des aides optiques ou autres à cause de leur
faible acuité visuelle.
I- ATITUDE FACE À LA VISION
1- Perception de soi-même comme aveugle
2- Conscience de la possibilité de voir les choses
3- Opposant aux stimulis visuels
4- Désaffection, manque dintérêt pour voir
5- Sapplique à essayer dutiliser sa vision
6- Fait preuve de curiosité pour tout objet visuel
7- Pose questions spécifiques sur chaque observation visuelle
8- Perçoit ses limites visuelles dune manière objective
9- Perception du fait quil utilise ses yeux avec efficacité
10- Perception de soi-même comme ayant vision normale
II- UTILISATION DES AIDES VISUELLES
1- Porte une correction (lunettes ou lentilles)
2- Utilise verres de près seulement
3- Utilise verres de loin seulement
4- Se sert de loupe pour petits objets
5- Se sert de loupe pour caractères dimprimerie
6- Se sert de loupe pour télescopique de loin
7- Se sert dun circuit fermé de télévision
8- Utilise plusieurs aides visuelles à la fois
III- UTILISATION DE LA VISION RÉSIDUELLE
A/ GÉNÉRAL
1 - Nessaie pas dutiliser la vision résiduelle
2- Utilisation de manière sélective
3- Essaie dutiliser sa vision résiduelle la plupart du temps
4- Nutilise que la vision centrale
5- Nutilise que la vision périphérique
6- Utilise à la fois vision centrale et périphérique
7- Distingue les couleurs
8- Capable de diriger sa vision (motilité)
9- Observation des gros objets (donner la distance)
10- Observation des petits objets (donner la distance)
11- Voit les caractères imprimés (distance approximative)
12- Tenue de lecture près (angle approximatif)
13- Déplace page ou matériel pour voir
14- Observe objets ou matériaux dans un ensemble
15- Objets ou matériaux parties par parties
16- Capable dattention visuelle soutenue (temps approximatif)
B) À L'INTÉRIEUR
1- Peut localiser source lumineuse naturelle
2- Peut localiser source lumineuse artificielle
3- Atteint un objet à portée de la main
4- Se dirige vers un objet à 1,50 m
5- Se dirige vers un objet à plus de 1,50 m
6- Capable déviter un obstacle sans le toucher
7- Capable déviter un obstacle en mouvement sans le toucher
8- Capable dimiter une pose ou un geste
10- Peut voir le sens dun escalier roulant
11- Capable de voir pour se servir dun ascenseur
12- Capable de voir un siège inoccupé dans un autobus
C) À LEXTÉRIEUR
1- Peut percevoir lumière vive fugitive
2- Peut percevoir lumière vive constante
3- Peut localiser une source lumineuse
4- Peut détecter de grand objets en mouvement
IV - LUMIÈRES PRÉFERÉES
A) LUMIÈRE NATURELLE
1 - Préfère contrôler cette lumière
B) LUMIÈRE ARTIFICIELLE
1- Préfère lumière diffuse
2 - Préfère lumière dirigée
Degré dintensité
Source
CONCLUSION
En souhaitant que cet article aide à louverture de celle nouvelle voie pour le
couple ophtalmologiste - orthoptiste dont les compétences y trouveront lexercice de
leur spécificité et de leurs qualités humaines et professionnelles.
BIBLIOGRAPHIE
N. Barraga, J. Morris : "Program to develop efflciency in visuel
functioning"
Pr. Bullinger : "Quelques items pour aider à une évaluation des
possibilités fonctionnelles de la vision chez lenfant"
K. Inde, O. Backmann : "Low vision training"
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(Dernière mise à jour de cette page le 28/05/2006)