TRAITEMENT DE L’AMBLYOPIE


Jean-Bernard WEISS
(Paris)

Le traitement de l’amblyopie fonctionnelle par occlusion de l’œil sain est encore actuellement le traitement le plus rapide et le plus efficace. Déjà proposé par Buffon, il avait été parfaitement codifié au XIXème siècle, en particulier par Javal.

Les progrès réalisés dans le domaine de l’amblyopie fonctionnelle durant ces 40 dernières années peuvent être rapidement résumés.

PROGRÈS THÉRAPEUTIQUES
Le principal progrès a été l’abandon de méthodes inopérantes et coûteuses utilisant un appareillage spécifique: euthyscope, pléoptophore et en dernier lieu le C.A.M.

La codification du traitement par occlusion permanente prolongée, suivie d’une désocclusion progressive ou brutale a entraîné un retour vers l’occlusion stricte.

PROGRÈS CONCEPTUELS
L’étude électrophysiologique et anatomoclinique de l’amblyopie fonctionnelle expérimentale chez le singe et le chat a conduit à la notion de période sensible, et a permis de localiser le site des modifications anatomiques secondaires à cette amblyopie fonctionnelle.

La classification étiologique des amblyopies fonctionnelles facilite l’établissement du pronostic.

Dans les pages qui suivent, nous avons essayé de formaliser la mise en œuvre du traitement de l’amblyopie, en essayant de transcrire sous forme de schémas logiques nos habitudes thérapeutiques. Cette tentative, peut-être un peu simpliste, nous a donné l’occasion d’analyser nos habitudes et de découvrir bien souvent des erreurs de logiques qui malheureusement étaient sanctionnées par des échecs thérapeutiques.

L’amélioration de ces schémas logiques a entraîné une nette amélioration de nos résultats, avec des traitements plus rapides, des consultations moins fréquentes, et surtout la disparition presque complète des rechutes, si désespérantes.

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TRAITEMENT DE L’AMBLYOPIE PROFONDE

Diagnostic - Décision du traitement - Choix du traitement

POSER LE DIAGNOSTIC D'AMBLYOPIE
Le diagnostic d’amblyopie ne sera posé qu’après avoir éliminé une baisse d’acuité visuelle due à une simple amétropie non corrigée.

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La technique d’évaluation de l’acuité visuelle dépendra de l’âge du patient. Si le sujet sait lire, on mesurera l’acuité visuelle de loin et de près avec des échelles de lettres. S’il s’agit d’un enfant coopérant, on procédera de même en utilisant comme optotypes soit des images soit des signes géométriques, comme le E de Rasquin. Pour les enfants de moins de deux ans, l’acuité visuelle sera grossièrement évaluée en tenant compte de signes indirects : une réaction d’opposition lors de l’occlusion de l’œil sain, la fixation de l’œil arnblyope Instable et en adduction, une fixation excentrique, plus ou moins stable, observée en utilisant un ophtalmoscope ou un visuscope.

L’AMBLYOPIE EST-ELLE FONCTIONNELLE OU ORGANIQUE ?
La preuve du caractère fonctionnel d’une amblyopie ne peut être affirmée qu’après sa guérison; c’est un diagnostic rétrospectif.

En l’absence d’une atteinte organique massive, telle qu’une perte de transparence de la cornée ou du cristallin, ou d’une lésion rétinienne centrale et étendue, le diagnostic d’amblyopie fonctionnelle est probable, surtout s’il existe un strabisme précoce et/ou une anisométropie.

L’existence d’une lésion organique, opacité des milieux transparents ou lésion rétinienne, ne permet pas d’exclure le caractère fonctionnel de 1’ amblyopie.

En effet cette lésion organique entrave la maturation normale de la vision de l’œil pathologique et peut être la cause déclenchante d’un strabisme, générateur lui-même d’une amblyopie fonctionnelle. Dans ce cas, à 1’ amblyopie organique peut s’ajouter une amblyopie fonctionnelle qui elle est guérissable.

Dans certains cas, l’importance de a lésion organique ne permet pas d’espérer une guérison de l’amblyopie. Mais parfois une lésion rétinienne de la région maculaire respecte une petite portion de la fovéola, et dans ce cas un traitement bien conduit permet de récupérer une vision centrale de bonne qualité.

En cas de doute sur le caractère purement organique de 1’ amblyopie, on entreprendra le traitement de 1’ amblyopie, en gardant à l’esprit la possibilité d’une amblyopie purement organique. Bien entendu, les parents seront avertis de cet état.

L’AMBLYOPIE FONCTIONNELLE EST-ELLE TRAITABLE ?

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Plusieurs facteurs entrent en jeu.

L’âge du patient est le facteur le plus important. En dessous de 4 ans, la quasi totalité des amblyopies est guérissable. Au delà de 9 ans, hormis pour certains enfants très motivés, on s’abstiendra de tout traitement.

La profondeur de l’amblyopie et l’excentricité de la fixation ne sont pas des contre-indications au traitement. Elles laissent simplement prévoir que la durée du traitement sera relativement longue.

Il nous est arrivé d’obtenir la guérison de l’amblyopie chez des enfants âgés de 9 ans, dont la fixation était excentrique, et dont l’acuité visuelle, au départ, était voisine de 1/20.

Les facteurs socio-économiques doivent être pris en compte. Il faut que les contraintes du traitement, en particulier le temps consacré à chaque consultation (transport, attente et examen) soient supportables par la famille.

L’origine ethnique ou le degré relatif de pauvreté de la famille d’un enfant amblyope ne nous ont jamais semblé être des obstacles insurmontables.

Dans les cas extrêmes, il faut savoir prendre son temps, et préciser minutieusement et par écrit, les consignes de traitement, quitte à diminuer la fréquence des examens et des contrôles.

LE TRAITEMENT PEUT-IL ÊTRE INSTITUÉ IMMÉDIATEMENT ?

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Si l’enfant est scolarisé et si 1’amblyopie est très profonde, il faut parfois savoir temporiser et ne commencer le traitement qu’au tout début d’une période de vacances.

Mais l’expérience nous a montré que des enfants ne présentant qu’une acuité visuelle de 1/10 pouvaient suivre leur scolarité normalement, certains conservant leur place de premier de classe. À l’inverse, pour les enfants mal classés, il ne faut pas que le traitement soit prétexte ou occasion d’un échec scolaire et de redoublement. Dans tous les cas, il est préférable d’obtenir la collaboration des enseignants en leur exposant les raisons et les modalités du traitement.

Un cas bien particulier est constitué par les enfants dont les parents sont en train de se séparer. Les consignes de traitement risquent de ne pas être respectées par l’un des parents, ce qui aboutira à un échec. Mieux vaut alors attendre que la situation soit stabilisée plutôt que de traiter un enfant dont les parents sont en situation conflictuelle.

Entreprendre un traitement de l’amblyopie par occlusion permanente chez un enfant de moins de un an expose à certaines difficultés. D’une part l’évaluation de l’acuité visuelle est grossière, car l’on ne dispose que de signes indirects : qualité de la fixation et réaction d’opposition. D’autre part, le traitement d’un enfant si jeune perturbe passablement les parents.

Si l’amblyopie est peu profonde, une occlusion alternée avec changement de coté chaque semaine est facilement acceptée et peut être prolongée pendant plusieurs mois sans problème majeur; il suffit de revoir l’enfant tous les deux ou trois mois.

Par contre, si 1’amblyopie est très profonde, l’occlusion permanente de l’œil sain pendant une semaine n’est pas suffisante pour guérir 1’amblyopie. Il faudrait alors prolonger cette occlusion de l’œil sain, au risque de déclencher une amblyopie iatrogène de cet œil et de provoquer des réactions d’angoisse chez les parents.

Si par crainte de cette amblyopie iatrogène on choisit de pratiquer une occlusion alternée, on évite cette amblyopie inverse; mais au bout de deux ou trois alternances, l’amblyopie n’étant pas guérie, le bébé refuse l’occlusion de l’œil sain et arrache le pansement.

Dans ces cas relativement rares, mieux vaut attendre l’âge de deux ans pour traiter 1’amblyopie : l’enfant est alors sociabilisé, l’occlusion peut être plus facilement imposée, et surtout l’acuité visuelle étant mesurable, le traitement sera conduit avec plus de précision.

QUEL TRAITEMENT APPLIQUER ?

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Occlusion permanente ou correction unilatérale ?
L’existence d’une amétropie forte de l’œil sain, le plus souvent une hypermétropie égale ou supérieure à 4 dioptries, permet de tenter un traitement par la correction unilatérale de l’œil sain, qui est une variante élémentaire des pénalisations.

En cas d’amétropie forte de l’œil sain, l’absence de correction de l’œil sain diminue sa vision. Si l’acuité visuelle de l’œil amblyope avec correction est supérieure à celle de l’œil sain sans correction, en ne prescrivant que la correction unilatérale de l’œil amblyope, on peut obtenir la fixation de cet œil amblyope et donc éviter l’occlusion de l’œil sain.

Cette méthode de traitement par correction unilatérale de l’œil amblyope présente de tels avantages qu’il faut toujours l’essayer lorsqu’il semble raisonnable d’en obtenir un résultat. Le cas le plus fréquent est celui de l’hypermétropie forte de l’œil sain. Mais lorsque l’œil sain présente un astigmatisme oblique important, cette méthode de traitement par correction unilatérale peut être aussi appliquée avec succès.

En cas d’échec, on aura recours à l’occlusion permanente.

Le succès de cette méthode dépend du degré d’amétropie de l’œil sain et de la profondeur de l’amblyopie.

Comme il est impossible d’établir une relation exacte entre ces deux facteurs et l’efficacité de cette méthode, on en est réduit à faire un essai, en vérifiant rapidement si l’on a bien obtenu le changement d’œil fixateur souhaité.

Les pages qui précèdent ne traitent que de la décision de traiter et du choix du traitement. Ultérieurement seront abordés le traitement par occlusion permanente, les traitements par pénalisation, l’amblyopie à bascule et la consolidation du traitement de l’amblyopie.


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(Dernière mise à jour de cette page le 28/05/2006)