PLACE DES CARTES DE TELLER DANS LEXAMEN VISUEL DES NOURRISSONS
Yvette LOBSTEIN, Claude SPEEG-KUNNERT, S. GOTTENKIENE
& Monique TONDRE
(Strasbourg)
Pray for us now and at the hour of our birth (ES. Eliot)
Le 22 mai 1989, François VITAL-DURAND est venu au service dorthoptique faire la démonstration des cartes de Teller dont nous disposions depuis peu. Son savoir-faire basé sur une expérience de plus de 500 examens pratiqués avec différents médecins lyonnais (en particulier Madame BONGRAND) nous a été profitable pour meure au point notre installation et éviter les tâtonnements et les erreurs de début (BONGRAND et al., BONGRAND et VITAL-DURAND, DUPONT et al., VITAL-DURAND et COTTARD).
Nous avons depuis inclus ce test dans notre routine dexamen des nourrissons dont les techniques usuelles sont connues de tous.
Nous nen reprendrons ici, très brièvement, que quelques unes :
Cet examen est dune grande importance dans les cas de strabismes à fixation croisée où la fixation nest fovéale quen adduction (POULIOUEN, NORDMANN et HENRY-LOBSTEIN). On peut constater au cours dexamens successifs quelle devient fovéale en position primaire puis en abduction (pour un il ou pour les deux)
Ces faits vont bien évidemment de pair avec lévolution des capacités dabduction en fonction des stades évolutifs (I à IV, et a ou b) selon la classification établie pour les strabismes congénitaux (LOBSTEIN-HENRY et ROTH, 1987).
La constatation du développement symétrique de labduction est lindice dune évolution vers lalternance. Au contraire, tant que subsiste une asymétrie entre labduction des 2 yeux une amblyopie est toujours à craindre.
Nous recherchons si le nystagmus optocinétique (NOC) existe et sil se fait aussi bien, en vision monoculaire, pour une rotation naso-temporale que temporo-nasale du tambour. Ce test nous paraît dun intérêt relatif chez les nourrissons. Sa symétrisation est loin dêtre la règle à partir de 6 mois comme lindique DE BIDERAN et al., mais sétage entre 4 mois et 2 ans comme lont aussi constaté BOURRON-MADIGNIER (communication personnelle) et VETTARD et al.
Fait important, nous avons observé sa totale absence au stade I des strabismes précoces, lorsque les 2 yeux sont en adduction.
On peut utiliser des investigations plus complexes, en cas de pathologies organiques ou de malvoyance (examens sous kétalar - E.R.G. - P.E.V. ...).
Nous avions donc déjà les moyens de juger un état normal ou de dépister les anomalies organiques, les amblyopies fonctionnelles, les strabismes même minimes, et den contrôler lévolution naturelle ou sous traitement.
Nous y avons ajouté lexamen aux cartes de Teller.
En quoi consiste-t-il et que nous apporte-t-il ?
Issue des travaux de ATKINSON et de BRADDICK sur le regard préférentiel (ATKINSON et BRADDICK 1983, ATKINSON 1984, BRADDICK et ATKINSON 1983) cette méthode primitivement complexe, nécessitant un écran vidéo dobservation et un double projecteur de stimulus, a été développée en France par VITAL-DURAND.
Les cartes de Teller en sont la technique simplifiée (TELLER et ail).
En voici les principes résumés :
Une bande noire et une bande blanche consécutives constituent 1 cycle. Chaque carte est caractérisée par la fréquence de son réseau, cest-à-dire par le nombre de cycles/cm. Les réseaux sont de plus en plus fins de la planche 15 à la planche 1. La progression se fait par demi-octave, loctave étant le double de la fréquence spatiale, soit le double du nombre de cycle/cm.
La luminance du réseau est égale à celle du fond un lux mètre permet le contrôle de léclairage constant requis.
Pour une présentation de la carte à la distance de 57 cm du sujet (la plus utilisée), il y a égalité entre les cycles/cm et les cycles/0, à partir desquels on détermine le pouvoir séparateur de lil testé.
Les cartes vont de 0,32 à 38 cycles/cm (ou cycles/0) soit de 20/1600 à 20/15 dacuité visuelle.
À 26 cycles/cm (ou /°) correspond une acuité angulaire d'l environ, chiffrée en 20/20.
Les auteurs (Mac DONALD et al. et DOBSON et TELLER) ont établi les conversions pour 3 distances de présentation (38, 57 et 84 cm) en cycles/° et en acuité visuelle ainsi que les normes supérieure et inférieure de lacuité en fonction de lâge : denviron 20/200ème à 4 mois, elle atteint 20/20ème entre 30 et 36 mois.
Lacuité binoculaire est généralement supérieure dune octave à la vision monoculaire (BOERGEN et al.). Pour être significative, la différence entre les deux yeux doit être dau moins une octave.
Lenfant est placé sur les genoux de sa mère à 57 cm dun grand écran gris présentant, à hauteur de ses yeux, une ouverture de la taille des cartes de Teller ; à 38 cm pour les enfants de moins de 3 mois et à 84 cm pour ceux de plus de 12 mois. Lexaminateur placé de lautre côté de lécran attire lattention de lenfant à travers louverture avant de lobturer par une carte. Il ne connaît pas lemplacement du réseau mais observe par le petit orifice médian du carton que le regard de lenfant se dirige, par exemple à droite. Inversant la position du carton, il observe que le regard de lenfant se dirige maintenant à gauche. Il vérifie alors que la plage à réseau se trouvait bien chaque fois du côté où lenfant a regardé. Il passe alors au carton suivant à réseau plus fin et ainsi jusquà ce que le regard de lenfant ne soit plus attiré par un réseau quil ne voit pas. La dernière carte "vue" permet la notation de lacuité et la comparaison aux normes et entre les deux yeux. Lexamen en vision binoculaire puis il par il ne prend pas plus de 5 à 6 minutes.
Lhabitude apprend vite à quel niveau de léchelle des cartes commencer lexamen pour en abréger la durée et ainsi en augmenter la fiabilité, comme CHANDNA et al. lont décrit.
Nous apportons ici nos résultats concernant 198 enfants âgés de 10 jours à 2 ans, examinés entre fin mai et fin décembre 1989 (dont 148 < 1 an), totalisant 261 examens.
Nous avons réparti nos cas en 32 groupes selon quils étaient normaux, suspects (ou à risques), ou pathologiques.
Groupe 1, cas normaux
: 98 enfants (113 examens)
Il sagissait denfants venus à linitiative de leur médecin ou de leurs
parents et ne présentant généralement dautre particularité quun
épicanthus, ou à notre demande si un membre de la fratrie louche.
22 dentre eux (23 %) seulement avaient plus dun an car après cet âge lintérêt des enfants pour les réseaux diminue, surtout si le score dune précédente mesure était élevé.
Les examens en vision binoculaire sont réalisés sans difficulté (98 %), ainsi que la plupart des examens monoculaires, dans les mêmes pourcentages que ceux rapportés par ELLIS et al.
Voici ces acuités visuelles présentées selon le graphique de Mac DONALD et al. (Graphique 1).
Pour la clarté de lecture, nous ny avons figuré que les acuités binoculaires. La différence dacuité entre les 2 yeux ou entre acuité mono et binoculaire na jamais dépassé 1 octave.
7 de nos cas sont au-dessous des normes, sans raison apparente, les 4 dentre eux qui ont été revus depuis étaient "rentrés dans le rang".
Graphique 1
Groupe II, cas suspects ou à risques : 31 enfants (37 examens)
Figurent dans ce groupe les enfants pour lesquels il était important de connaître
lacuité visuelle (prématurés graves, comportement anormal) et qui restaient
suspects après les examens habituels.
Groupe III, cas pathologiques : 69 enfants (111 examens)
Les valeurs dacuité mono et binoculaire sont beaucoup plus dispersées, les examens
ont été plus souvent répétés que dans les 2 autres groupes.
Nous avons suivi avec bonheur la récupération spectaculaire dun bébé de 5 mois quune encéphalite avait rendu pratiquement aveugle.
Selon les cas, lexamen est binoculaire ou monoculaire. Nous nen ferons pas le détail mais soulignerons plusieurs points
En effet, le strabisme congénital se caractérise, entre autres, par des difficultés dabduction.
Si le réflexe optomoteur ne peut jouer en abduction, le sujet sera considéré à tort comme amblyope.
Ce qui a pu faire situer le début de lamblyopie strabique (que nous préférons appeler amblyopie "motrice") plus ou moins tôt selon que lon considère les capacités motrices ou les capacités visuelles de lil (JACOBSON et al., TYCHSEN et LISBERGER, STAGER et BIRCH).
Nous avons essayé de présenter les planches verticalement mais sans grand succès.
Nous tentons actuellement un nouvel essai en faisant précéder la mesure dun il par une occlusion de quelques minutes de lautre il. Il est des cas où cela ne suffit pas alors que lessai de lunettes à secteurs provoque instantanément une fixation alternante en regard primaire, voire même une abduction.
La technique du regard préférentiel est ici inadéquate ; et la surveillance du développement symétrique de labduction - qui conduit à lalternance - garde donc toute sa valeur séméiologique pour détecter le risque damblyopie (LOBSTEIN-HENRY et ROTH 1989). Le même problème sest posé pour un cas de syndrome du monophtalme ou strabisme sensoriel du nourrisson, décrit par A. SPIELMANN (1989), où le non redressement de lil normal ne permettait pas lusage des cartes de Teller.
CONCLUSION
Les cartes de Teller mesurent le pouvoir séparateur de lil, donc une
acuité angulaire. Le contraste est maximum.
Le réflexe optomoteur est mis en jeu pour la fixation du réseau, ce qui en restreint lutilisation dans les cas de perturbation de labduction et particulièrement pour les cas de strabisme à fixation croisée.
Il y a des indications dâge environ 3 à 15 mois pour les enfants normaux plus tard pour les enfants à retard psychomoteur, mais aussi nous semble-t-il pour les cas daphakie (du fait de lapprentissage visuel retardé ?).
Cette technique permet de façon simple, rapide et suffisamment précise :
Les cartes de Teller sont donc à intégrer dans le bilan ophtalmologique des nourrissons.
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(Dernière mise à jour de cette page le 28/05/2006)