L’OPÉRATION DU FIL DANS LES ÉLEMENTS VERTICAUX DES ÉSOTROPIES INFANTILES


Claude SPEEG-KUNNERT, S. GOTTENKIENE, Monique TONDRE & Yvette LOBSTEIN
(Strasbourg)

Introduction
La question se pose une nouvelle fois de l’intérêt de l’intervention systématique sur les petits obliques dès le premier temps chirurgical dans l’ésotropie infantile. Dans une première étude (1985), nous avions déjà constaté la disparition de l’hyperaction des petits obliques dans un certain nombre de cas opérés sur les muscles horizontaux. C'est pourquoi malgré le changement de nos indications opératoires, puisque nous intervenons plus souvent sur les petits obliques dès le premier temps opératoire lorsqu’ils sont réellement hyperactifs, nous avons voulu reprendre l’étude du devenir de l’hyperaction de ces petits obliques et de la déviation verticale dissociée.

Matériel et méthode
Notre étude a porté sur 230 cas d’ésotropie de l’enfant, opérés ces 9 dernières années entre l’âge de 30 mois et de 6 ans. Ces enfants présentaient tous une incomitance horizontale, associée à l’hyperaction d’un ou des deux petits obliques dans 95 cas (413 %, cf. tableau n0 1).

Nous avons établi pour chaque cas la différence entre l’angle minimum statique et l’angle maximum dynamique, ce qui représente la variabilité de la déviation, symptomatique d’un excès d’adduction, avec incomitance loin/près.

Le geste chirurgical comprenait au minimum un ancrage postérieur par la "fadenoperation".

Sur les 230 cas, nous avons pratiqué 186 fois une rétroposition d’un ou des deux droits internes associée au double pontage, 35 fois une intervention unilatérale (recul-résection) sur l’œil dominé associée au double pontage, et 9 fois un affaiblissement des petits obliques selons FINCK, pratiqué dès le premier temps lorsqu’ils étaient très hyperactifs (cf. tableau n0 2).

Une deuxième intervention a été pratiquée dans 50 cas (21,7 %) dont un affaiblissement des petits obliques dans 6 cas, associé alors à un geste sur un ou les deux droits externes.

Notre recul post-opératoire s’étend de 6 mois à 9 ans.

Résultats
Nous avons observé un angle résiduel (supérieur à 5°) dans 36 cas, essentiellement pour les angles de départ compris entre 10 et 24° (cf. tableau n03).

Nous avons constaté une divergence de - 3 à - 8° dans 13 cas, et une persistance de l’incomitance horizontale dans 56 cas. D’emblée, nous observons que les résultats sont meilleurs dans les petits angles inférieurs à10°. Il faut cependant remarquer que l’incomitance horizontale résiduelle peut être difficile à quantifier. Ainsi, s’il est important de connaître l’amplitude de la variation de l’angle, il convient impérativement d’en connaître la fréquence. C’est pourquoi ROTH a classé les résultats moteurs post-opératoires des strabismes de l’enfant en quatre groupes allant de la variabilité de l’angle résiduel n’apparaissant que sous dissociation de la vision binoculaire (sous écran par exemple) à la variabilité permanente.

D’autre part, nous avons remarqué que l’effet du fil sur la variabilité étant majoré dans les petits angles (inférieurs à 10°), mais que cet effet ne s’observait souvent qu’après quelques jours voire quelques semaines post-opératoires.

Ceci nous inciterait à placer, dans les petits angles variant de 0 à 10°, 2 fils associés à une ténotomie partielle des droits internes ou à un minime recul (2 à 2,5 mm) d’un droit interne.

Par ailleurs, nous avons remarqué la persistance d’une hyperaction des petits obliques dans 28 cas sur les 95 cas initiaux soit 29,4 % (cf. tableau n0 4). Il semble donc que l’hyperaction des petits obliques puisse être réduite d’emblée par la seule intervention sur les droits internes et l’ancrage postérieur, sans doute sous le simple effet du redressement des axes visuels, et ceci dans environ 70 % des cas.

La déviation verticale dissociée (DVD) se recherche en observant successivement à l’aide du double écran translucide de SPIELMANN, l’œil non fixateur en adduction et en position primaire afin de tenter de différencier la DVD d’une hyperaction des petits obliques.

Nous rappellerons que, comme l’a très bien décrit A. SPIELMANN, la DVD pourrait être liée à une innervation excessive du droit supérieur et du petit oblique, mais que même en adduction, le petit oblique ne fournirait que 50 % de l’élévation. C’est pourquoi, dans une DVD faible, sans extorsion, la correction de l’horizontalité seule semblerait indiquée.

 

Angle préopératoire

Nombre de sujets

< 10°

100 à 240

> 25°

Ensemble des sujets (230)

13

162

55

Avec hyperaction 1 ou 2 petits obliques (95)

2

74

19

Tableau 1 : Répartition des sujets en fonction de l’angle préopératoire et de l’hyperaction des petits obliques. 

 

Angle préopératoire

Type d’intervention

<10°

10 à 24°

> 25°

Rétroposition 1 ou 2 droits internes
+ double pontage (186 cas)

7

130

49

Intervention unilatérale de œil dominé (recul-résection)
+ double pontage (35 cas)

6

26

3

Affaiblissement des 2 P.O. selon Finck (9 cas)

0

6

3

Tableau 2 : Sélection du premier temps opératoire en fonction de l’angle pré -opératoire. 

 

Angle préopératoire

Etat postopératoire

<10°
(13 cas)

10 à 240
(162 cas)

> 25°
(55 cas)

Angle résiduel > +5° (36 cas : 15,6%)

0

27
(16,6%)

9
(16,3%)

Divergence -3 à -80 (13 cas :5,6%)

0

8
(4,9%)

5
(9%)

lncomitance horizontale loin / près
(56 cas : 24,3 %)

0

40
(24,6%)

16
(29%)

Tableau 3 : Résultats concernant l’angle résiduel et l’incomitance horizontale résiduelle (230 cas) en fonction de l’angle pré-opératoire.

 

Angle préopératoire

Etat postopératoire

<10°
(2 cas)

10 à 24°
(74 cas)

>25°
(19 cas)

Cas n’ayant pas eu de chirurgie des P.O. (86 cas)

0

16

10

Cas ayant comporté un affaiblissement des P.O. selon Finck au cours du ler temps opératoire

(0 cas opéré)
0

(6 cas opérés)
1

(3 cas opérés)
1

Tableau 4 : lncomitance résiduelle concernant l’hyperaction des petits obliques en fonction de l’angle pré-opératoire et du type d’intervention.

Après intervention, nous avons constaté une DVD spontanée ou provoquée dans 15,6 % des cas.

Sur les 230 cas, 31 cas nécessiteraient actuellement un second ou un troisième temps, justifiés d’après l’angle résiduel post-opératoire ou la persistance des incomitances horizontales ou de l’hyperaction des petits obliques.

Conclusion
Il est évident que comme dans toute étude rétrospective, et la nôtre porte sur près de 10 ans, nous nous sommes heurtés aux variations de conceptions tant au niveau des examens pré-opératoires (ainsi nous cherchons systématiquement à différencier les DVD des hyperactions des petits obliques) que du changement des équipes chirurgicales et des indications opératoires.

Nous préférons actuellement agir dans un premier temps par une chirurgie horizontale sans action sur le petit oblique, sauf en cas d’hyperaction majeure, réservant ce geste à un deuxième temps associé à un droit externe.

Enfin, la correction d’une DVD, lorsqu’elle est nécessaire, nous semble réservée à un deuxième voire un troisième temps, associant un recul de 5 à 8 mm du droit supérieur à un fil d’ancrage. Cette intervention souvent unilatérale dans les formes à nette dominance sera volontiers bilatéralisée afin d’éviter la majoration d’une DVD latente sur l’œil non opéré.

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A part :
Technics of strabismus surgery adjustable suture and posterior fixation suture. Trans. Ophtalmol. Soc. U.K., 1986, 1Qf. 709.


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(Dernière mise à jour de cette page le 28/05/2006)