TRAITEMENT DE LAMBLYOPIE PAR OCCLUSION PERMANENTE
Jean-Bernard WEISS
(Paris)
NÉCESSITÉ ET IMPORTANCE DES EXPLICATIONS
Entretien préalable
Avant dentreprendre un traitement damblyopie par occlusion permanente de
lil sain, il est nécessaire de fournir toutes les explications désirables
aux parents et/ou à lenfant si celui-ci est en âge de les comprendre.
Il faut en particulier justifier le traitement, décrire ses difficultés, prévoir sa durée, préciser que locclusion permanente sera prolongée par un traitement de consolidation, parfois plus long que locclusion, et prévenir de la possible survenue dune amblyopie iatrogène de lil sain.
Il faut aussi détailler soigneusement chaque consigne car bien des occlusions se terminent par un échec dû à une mauvaise technique. On insistera sur le fait que jamais les deux yeux ne doivent être ouverts en même temps.
Il faut prendre son temps, être sûr que les parents aient bien compris ces explications et répondre à leurs éventuelles questions. Enfin, on doit chercher à obtenir la coopération de lenfant, quitte à être démagogue en demandant aux parents de le récompenser. Mais en aucun cas, il ne faut promettre à lenfant ce que lon ne peut tenir. Mieux vaut annoncer une occlusion dune durée de trois mois, quitte à la terminer au bout de deux mois, que linverse.
Lentretien préalable est essentiel; il permet déviter bien des erreurs. Il doit être surtout loccasion de convaincre les parents et lenfant. Mais pour convaincre, il faut être soi-même convaincu, ce qui nest pas toujours le cas des ophtalmologistes qui préconisent une occlusion.
Technique et consignes
Locclusion doit être effectuée par un pansement collé sur le pourtour de
lorbite; il sera changé dans la mesure du possible tous les deux jours. Des
changements plus fréquents risquent dentraîner des irritations cutanées. Le
changement sera effectué dans une pièce relativement sombre; ou mieux, lenfant
gardera les deux yeux fermés durant cette opération.
Locclusion par ventouse fixée sur les lunettes ou par bandeau doit être évitée. En pratique, on a le choix entre deux marques de pansements oculaires : Lohman et Opticlude.
Dans certains cas, si lon craint une opposition de lenfant qui risquerait de soulever le pansement, on peut prescrire lors de chaque changement de pansement, soit un collyre à latropine dans lil sain, soit une pommade qui fera perdre, provisoirement, à la cornée sa transparence.
TRAITEMENTS ADJUVANTS
Lusage est de donner à lenfant des exercices pour "entraîner"
son il amblyope. Certains parents, motivés et industrieux, donnent à leur enfant
des tâches variées telles que des coloriages; certains découpent les jeux des "7
erreurs". Nous préférons, si lâge de lenfant le permet, utiliser les
exercices plus spécifiques du livret de "Traitement de lamblyopie". Ces
exercices de coloriage ont plusieurs avantages.
Comme tous les exercices de coloriage, ils développent la coordination main-il. En cas damblyopie profonde avec fixation excentrique, on met en évidence les troubles de la localisation, caractérisés par un décalage entre le dessin et le coloriage.
Ces exercices sont de difficulté très progressive; la taille des E décroît de 20 à 1 mm, et le pas des labyrinthes de 4,5 à 0,5 mm.
On demandera de dater chaque page dexercice. Si le travail est fait sans soin, cest que les parents ne surveillent pas lenfant. Les progrès seront appréciés aisément tant par lophtalmologiste que par les parents et lenfant. Une discordance entre une mauvaise acuité visuelle mesurée par lophtalmologiste et le coloriage exact de petits signes indique que lenfant triche à la maison.
À chaque visite de contrôle, le livret sera examiné, et lon conseillera aux parents les exercices dont la difficulté sera proche des possibilités de lenfant.
PREMIER CONTRÔLE
Sauf exception justifiée par des raisons financières ou géographiques, il est
nécessaire de faire un contrôle au bout dune semaine pour vérifier que
locclusion est bien faite et bien supportée.
On vérifiera que le pansement a bien été placé sur lil sain, que les consignes ont bien été respectées, en particulier que le pansement est changé dans une pièce obscure, et surtout que lenfant ne triche pas. Si lon a prescrit des exercices, on appréciera la qualité du travail de coloriage.
On demandera aux parents comment se comporte lenfant; si celui-ci va à lécole et, si les difficultés scolaires sont majeures, larrêt du traitement sera discuté.
Rares sont les amblyopies qui guérissent en huit jours; mais ce contrôle au bout dune semaine nest pas une perte de temps; la majeure partie des erreurs de technique surviennent au début de locclusion permanente; il est inutile de perturber les enfants par un traitement mal conduit et donc inefficace. Le mieux est donc de détecter rapidement une éventuelle faute méthodologique.
Comme lors des visites ultérieures, lacuité visuelle de lil amblyope sera mesurée ou évaluée, ainsi que la fixation. Pour la mesure de lacuité visuelle, il faut disposer de plusieurs types déchelles, et procéder toujours de la même façon, en évitant la mémorisation de ces échelles.
On notera aussi la difficulté des exercices que lenfant peut mener à bien. Lil sain, obturé, ne sera pas examiné.
Lenfant sera félicité, et même récompensé; il est utile davoir de petits objets sans grande valeur, mais qui font plaisir aux jeunes enfants, tels que timbres, sous, perles etc...
Si les consignes nont pas été appliquées, il faut alors sentretenir avec les parents et leur donner de nouvelles explications.
Si tout semble se dérouler normalement, un nouveau rendez-vous est fixé, en règle deux semaines plus tard.
LE CAS IDÉAL
Fréquence des contrôles
Locclusion mise en place, et la compréhension des consignes vérifiée, on
procède à des contrôles réguliers de lil amblyope, sans examiner
lil sain qui doit rester occlus en permanence.
Lors de ces visites, on vérifie la qualité de locclusion, et son acceptation par lenfant; limpact social et scolaire en seront évalués. Surtout, lacuité visuelle sera mesurée le plus soigneusement possible, de loin et de près, en employant plusieurs échelles, et en procédant toujours de la même façon.
Seule cette mesure de lacuité visuelle permet dévaluer les progrès et donc de décider de la prolongation ou de larrêt du traitement.
La fréquence de ces visites dépend de lâge de lenfant et de la profondeur de lamblyopie. Il faut trouver un juste milieu entre une occlusion trop longue avec le risque dune amblyopie iatrogène, et une occlusion trop courte, avec le danger dune guérison partielle qui peut conduire à une rechute, souvent définitive. Des visites trop espacées exposent à méconnaître des erreurs dans la conduite du traitement, mais des bilans trop rapprochés entraînent bien souvent à interrompre le traitement car les progrès constatés lors de deux visites successives sont minimes.
Une solution raisonnable consiste à doubler chaque fois lintervalle séparant deux visites successives. Le premier contrôlé est effectué une semaine après le début de locclusion; les suivants sont espacés de 2 semaines, i mois, 2 mois etc...
Poursuite et arrêt du traitement
Le traitement est poursuivi tant que lacuité visuelle de lil
amblyope progresse. Locclusion est arrêtée quand cette acuité visuelle est jugée
suffisante pour passer à la phase de consolidation (Phase II).
Bien souvent, on obtient en moins de 2 mois docclusion une acuité visuelle de 10/10. Locclusion permanente est alors arrêtée. Parfois, dans les cas damblyopie profonde, et pour des enfants âgés de plus de 4 ans, il est nécessaire de prolonger locclusion permanente pendant plusieurs mois pour obtenir ces 10/10.
Enfin, pour les cas damblyopie très profonde, quand lenfant est relativement âgé, ou sil existe une anisométropie importante, on doit arrêter locclusion permanente quand lacuité visuelle atteint seulement 5/10 ou même 3/10. On sera alors très vigilant lors du traitement de consolidation.
Bilan terminal
Le bilan terminal correspond à la fin de locclusion permanente. Comme lors des
précédentes visites, lacuité visuelle de lil primitivement amblyope
est mesurée de près et de loin, en utilisant toutes les échelles disponibles.
Lil occlus nest pas découvert; il faut avertir les parents de la possible survenue dune amblyopie iatrogène, en les rassurant quant à sa guérison. On leur demande dinverser locclusion une fois rentrés à la maison, et de revenir une semaine après pour contrôler la vision de lil primitivement sain.
Lors de linversion de locclusion, la consigne de base "un seul il ouvert à la fois" reste en vigueur. En aucun cas, les deux yeux ne doivent être exposés simultanément à la lumière.
Le tableau dune amblyopie inverse (iatrogène) est parfois spectaculaire:
lenfant ne semble pratiquement rien voir, il fuit la lumière, pleure ou reste inactif. Ce spectacle est désolant.
Lophtalmologiste doit se préserver sil veut continuer à traiter ses amblyopes. Il est bon de lexpliquer aux parents qui, eux, nauront cette expérience quune fois dans leur vie. Lophtalmologiste doit être serein et certain de la guérison de cette éventuelle amblyopie induite. Sa certitude sera le moyen le plus sûr déviter toute panique aux parents.
Lacuité visuelle de lil sain est-elle normale ?
À la visite suivante, lil primitivement amblyope étant occlus, on mesure
lacuité visuelle de lil primitivement sain. Dans la quasi totalité des
cas, on obtient 10/10. On demande ensuite aux parents de préciser ce qui sest
passé lors de linversion de locclusion: au mieux, lenfant na
manifesté aucune réaction, au pire, lenfant a été très gêné pendant deux
jours, mais le choc provoqué par cette amblyopie inverse est déjà estompé dans
lesprit des parents.
Si lacuité visuelle de lil primitivement sain est normale, on passe à la phase II, phase de consolidation.
Si lacuité visuelle est diminuée, il y a une amblyopie iatrogène qui nécessite un traitement très court mais précis.
Arrêt de la progression de lacuité visuelle
Si lors de deux bilans consécutifs lacuité visuelle est inchangée, il
ny a guère de raison de continuer locclusion permanente dans les mêmes
conditions. Cette stagnation peut être due à une mauvaise technique docclusion, à
une correction optique devenue inexacte ou à un échec relatif.
Stagnation due à une correction inexacte
La réfraction sera contrôlée de préférence par skiascopie pratiquée à partir de la correction portée. Il est fréquent, lors dune occlusion permanente, que la réfraction de lil amblyope se modifie; cette modification se fait souvent dans le sens dune diminution de lhypermétropie ou dun changement de laxe de lastigmatisme.
Si tel est le cas, la correction est modifiée. La date du prochain bilan suit la règle habituelle du doublement.
Stagnation et passage à la phase II
Si la correction est exacte, on ne peut continuer locclusion permanente. Il faut décider alors si lacuité visuelle est suffisante pour passer à la phase II.
En règle, une acuité visuelle supérieure ou égale à 3/10 est suffisante. On pratiquera alors un bilan terminal et lon procèdera, comme pour le cas favorable, au contrôle de lacuité visuelle de lil occlus, puis au traitement de consolidation.
Reprise du traitement après intervention
Si lacuité visuelle est inférieure à 2/10, avant darriver au constat déchec, on est en droit dévoquer lintérêt dune intervention portant sur lil amblyope.
En effet, dans certains cas de strabismes convergents avec forte déviation, lil amblyope reste en adduction avec une fixation excentrique nasale. Lintervention avec recul simple du droit interne de lil amblyope peut diminuer le déficit de ladduction et permettre une reprise de locclusion permanente dans de bonnes conditions.
Constat déchec
La correction optique étant exacte, si on renonce à lintervention, il faut se résoudre à accepter léchec.
Il faut alors dresser un constat déchec, avec la description exacte du traitement effectué, sa durée, lacuité visuelle de départ, la correction portée et lacuité visuelle finale. Ce constat déchec sera remis aux parents ou noté sur le carnet de santé de lenfant afin déviter, dans lavenir, une nouvelle tentative de traitement qui serait infructueux.
Terminaison de locclusion permanente en cas déchec
Avant den terminer, et donc de rendre à lenfant lusage de
lil sain, on procèdera comme pour les autres cas à un bilan terminai et au
contrôle de lacuité visuelle de lil occlus..
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(Dernière mise à jour de cette page le 28/05/2006)