RECUL PAR ANSE AU TALON


Jean-Bernard WEISS
(Paris)

Il y a 15 ans, dans une publication collective (1) effectuée avec des membres du C.E.R.E.S., nous avons décrit le recul musculaire par anse au talon.

Cette technique est directement dérivée de celle de Gobin (2) qui, à l’époque, effectuait des reculs de 5 mm associés à des anses de 2 ou 3 mm.

Le remplacement du fil de soie (Gobin) par le mersilène, fût une erreur, en raison de granulomes fréquents. Par la suite, C. Lasser nous a appris à utiliser un fil résorbable, d’abord le catgut, puis le vicryl 6/0 (3).

Nous avons décrit les anses inégales, pour obtenir l’équivalent d’un recul oblique, suivant les concepts de Lavat (4). Comme le signale Spielmann, cette technique aurait tendance à donner l’inverse des résultats escomptés.

Enfin nous avons décrit le recul du grand oblique par anse, avec abord temporal.

Précisons tout d’abord que la technique par anse au talon est analogue à l’ancienne technique de la ténotomie gardée; car il s’agit d’une "ténotomie gardée et quantifiée. Hass (5), en 1952, a publié cette technique, avec l’utilisation de sondes plates et non cylindriques; dans une lettre personnelle, il m’avait précisé qu’il continuait à utiliser sa méthode.

Pour rendre accessibles ces techniques, nous avons fabriqué et diffusé par l’intermédiaire du C.E.R.E.S., des jeux de sondes donnant des anses de 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 10 mm. Enfin, nous avons fait éditer par Moria des sondes coniques avec lesquelles le glissement de l’anse sur la sonde est facilité (6) (Figure 1).

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Figure 1
: Anses coniques. Le glissement de l’anse est plus facile qu’avec une sonde cylindrique

Cette technique n’a donc rien d’original; tout au plus avons nous participé à sa diffusion.

Un des arguments avancés, à l’époque, par Gobin, était qu’une anse associée à un recul (technique de Gobin) était préférable à un recul équivalent, car l’arc de contact était conservé par un mécanisme simple: un tissu conjonctival fibreux, conforté par les deux anses de soie, prolongerait l’extrémité antérieure du tendon jusqu’aux points scléraux de fixation des anses. Il y aurait formation d’un néo-tendon qui, dans les positions de duction extrêmes, serait séparé de la sclére par un espace virtuel.

Comme nous l’avons démontré (7), cet argument n’est pas valable pour les anses effectuées sur le droit externe, à moins d’effectuer des reculs supérieurs à 14 mm. Par contre, pour le droit interne, un recul classique de plus de 5 mm entraîne une perte de l’arc de contact en adduction extrême. Le recul de 5 mm associé à une anse, ou notre technique d’anse au talon, pourraient effectivement préserver l’arc de contact en adduction extrême, la seule condition étant que le néo-tendon soit individualisé et ne soit pas adhérent à la sclère.

Lanthony, lors d’une réintervention sur un muscle opéré avec la technique de l’anse au talon a pu vérifier l’existence de cet espace virtuel (8).

Le recul par anse (technique de Gobin ou de Weiss) permettrait donc d’effectuer un recul important du droit interne sans perte de l’arc de contact.

Pour vérifier cette assertion, certains auteurs ont pratiqué ce type d’intervention sur des animaux, en particulier sur le chien, mais n’ont pas retrouvé cette espace virtuel; nous mêmes, avec J. Mawas et J. Créhange (9) avons pratiqué une telle expérimentation chez le lapin, sans pouvoir mettre en évidence cet espace virtuel. Mais tant pour le lapin que pour le chien, la mobilité oculaire est réduite, en particulier pour les déplacements horizontaux; en adduction extrême, la partie antérieure des tendons reste toujours en contact avec la sclère. Il n’y a que chez l’homme, et sans doute chez le singe, et seulement pour le droit interne, que la partie antérieure du tendon peut s’écarter de la sclère. Ce type d’expérimentation est malheureusement sans valeur, et ne peut infirmer l’hypothèse avancée par Gobin.

Les constations de Lanthony et la conservation de l’adduction après recul par de grandes anses au talon (Figure 2) restent donc les meilleurs arguments en faveur de la théorie de Gobin.

Qu’elles sont nos conclusions, après plus de 10 ans d’expérience et plus de 1000 interventions ?

Pour les affaiblissements des quatre muscles droits horizontaux, nous utilisons exclusivement cette technique de recul avec anse au talon, et ne pratiquons plus jamais de recul classique, que ce soit lors d’interventions primitives ou lors de réinterventions.

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Figure 2
: L’espace décrit par Lanthony ne peut exister lors d’un recul du droit externe, pour une simple raison géométrique. Mais il pourrait exister lors d’un recul du droit interne de plus de 5mm

Le seul inconvénient, mineur, est la dépendance de l’opérateur à l’égard de son aide qui doit bloquer le fil avant le serrage du contre-noeud. Mais la pratique de ce geste simple est facile à apprendre.

La conservation de l’arc de contact nous semble être toujours un argument valable, mais uniquement pour le droit interne, lors des reculs par anses de plus de 5 mm. Ainsi, on peut corriger, chez l’adulte, des déviations égales ou supérieures à 50 dioptries par des anses de 7 mm sur les deux droits internes, sans avoir à pratiquer de résection, et sans perte notable de l’adduction (Figure 3).

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Figure 3
: Strabisme convergent de 70 dioptries; recul des deux droits internes par des anses au talon de 7 mm. On notera la très bonne adduction postopératoire

Chez les très jeunes enfants, nous nous limitons à des anses de 5 mm.

Les principaux avantages de celle technique découlent du passage de l’aiguille au niveau primitif d’insertion. Ces avantages nous sont d’autant plus précieux que depuis quelques années, nous pratiquons systématiquement une chirurgie sous anesthésie de contact chez l’adolescent et l’adulte.

Au niveau du talon primitif, la sclère est particulièrement épaisse; le risque de perforation sclérale est donc minime. L’avantage est considérable lors d’une intervention sur un fort myope.

Avoir un champ opératoire très antérieur est un atout lors de la chirurgie sous anesthésie de contact.

Lors des réglages peropératoires, que nous pratiquons systématiquement lors des interventions sous anesthésie de contact, le glissement du fil est beaucoup plus aisé quand celui-ci a été passé à travers le talon que lorsqu’il traverse tangentiellement la sclère; et les risques d’arrachement sont diminués.

En raison de l’ensemble de ces avantages, nous préférons donc le recul par anse au recul classique, et préférons les anses au talon plutôt que les anses associées à un recul de 5 mm.

Notons aussi que les tenants de la chirurgie réglable pratiquent une ténotomie gardée et réglée postopératoirement.

Références
(1) Boulad L., Crehange J. et coll. Opération du strabisme avec anses. Journ.Fr. Orthoptie, 12, 1980, p.l01
(2) Gobin M.H. Recession of the medial rectus muscle with a loop. Ophthalmologica, 1968, 156, 25
(3) Lasser C. Communications lors d’une réunion du CERES, 1978
(4) Lavat J., Bons G. Recul oblique dans la chirurgie des syndromes A et V. Bull. Soc. Ophtalmol. Fr. 72. 317-320 1972
(5) Hass H.D. Rucklagerung mit Fixationsnanten beim Strabismus concomitans convergens. Klin. Monat. 146, 46-50. 1965
(6) Weiss J-B. Nouvelles sondes pour la chirurgie du strabisme avec anses. Acta Strabologica, Varia III, CERES, 1989, p.59
(7) Weiss J-B. Communications lors d’une réunion du CERES, 1981
(8) Lanthony P. Communications lors d’une réunion du CERES, 1979
(9) Créhange J., Mawas J., Weiss J-B. Communications lors d’une réunion du CERES, 1980


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(Dernière mise à jour de cette page le 28/05/2006)