OPÉRATIONS PRÉCOCES


Jean-Bernard WEISS
(Paris)

Faut-il opérer les strabismes précoces avant l’âge de 2 ans, voire même avant 1 an ?

Les arguments pour et contre la chirurgie précoce sont nombreux et méritent d’être discutés.

ARGUMENTS CONTRE LA CHIRURGIE PRÉCOCE
L’anesthésie est dangereuse
Les techniques modernes d’anesthésie sont fiables. Il semblerait que les rares accidents survenus lors des opérations de strabisme sont le plus souvent dus à des défauts de surveillance; pour les très jeunes enfants, les anesthésistes sont particulièrement attentifs, et le risque est très minime.

L’examen moteur est sommaire
Il est difficile d’examiner correctement un très jeune enfant et l’on risque de méconnaître un syndrome alphabétique et/ou un élément parétique.

Mais avec un peu de patience et de savoir faire, il est possible d’établir un bilan moteur correct, mais il est vrai non chiffré précisément.

Le résultat à long terme est mauvais
On expose l’enfant soit à une récidive de l’ésotropie, soit à une exotropie si l’action sur les droits internes est trop importante.

Le recul des droits internes expose en effet à ces échecs, et Deller pratique une myopexie rétroéquatoriale (Faden) pour éviter un trop grand recul des droits internes. Mais une réintervention pour une divergence secondaire né pose pas beaucoup de problèmes si l’opération initiale a été correctement pratiquée.

Il y a un danger d’amblyopie
Quand le résultat cosmétique est bon, les parents sont satisfaits et ne font pas suivre l’enfant qui risque alors de devenir amblyope par défaut de surveillance.

Mais il suffit d’exposer avec fermeté le problème aux parents pour obtenir un suivi correct, et donc d’être en mesure de détecter l’apparition d'une dominance oculaire avant qu'une amblyopie ne devienne irréversible.

ARGUMENTS EN FAVEUR DE LA CHIRURGIE PRÉCOCE
L’opération précoce permet d’obtenir un résultat fonctionnel.
Tous les auteurs sont d’accord pour estimer qu'un strabisme précoce ne présentera jamais une vision binoculaire normale. "L'Union binoculaire"; gage selon certains d’une stabilité du résultat opératoire, ne semble pas plus fréquente en cas d’opération précoce.

La disgrâce esthétique est mal acceptée par les parents
Il est presque toujours possible de convaincre les parents de retarder l’opération.

Mais les parents souffriront quand même d’avoir un enfant louchon.

L’enfant est plus épanoui après l’opération
Dans nombre de cas, le comportement psychomoteur de l’enfant change dès le lendemain de l’opération. L’enfant parait plus heureux, plus ouvert au monde extérieur, plus actif.

Pratiquant auparavant une strabologie "contemplative", impliquant une chirurgie tardive, le plus souvent après six ans, les communications successives de Deller sur ses opérations précoces m’ont convaincu et depuis peu je pratique des opérations précoces.

Les deux arguments majeurs qui m’ont incité à pratiquer une chirurgie précoce sont la libération psychomotrice de l’enfant et le bonheur des parents d’avoir un enfant plus joli. Le risque anesthésique, que je redoute, me parait infime. Je sais que j’expose cet enfant à une éventuelle réintervention. Mais le bilan me parait quand même assez positif pour proposer aux parents l’opération.

Mais il est des cas ou l’intervention s’impose. Chez de très jeunes strabiques, l’apparition d’un nystagmus est une indication opératoire urgente, surtout si dans la famille de l’enfant il y a des cas de nystagmus "congénitaux" idiopatiques. La chirurgie très précoce diminue ou fait disparaître le nystagmus.

SÉLÉCTION DES CAS
L’indication opératoire ne se discute que si l’aspect de l’enfant est très inesthétique (déviation égale ou supérieure à 50 dioptries) et si la correction totale de l’hypermétropie n’entraîne aucune diminution notable de la déviation.

Le traitement médical préopératoire consiste essentiellement à donner une correction optique si l’amétropie est importante et à pratiquer une occlusion alternée stricte, par pansement collé sur la peau, dont on change le coté chaque jour. Sauf rares allergies, ce traitement simple est bien compris et donc bien accepté et bien appliqué par les parents. Mais dès que l’enfant commence à enlever le pansement, nous demandons aux parents de ne pas insister. Dans l’ensemble, ce traitement par occlusion alternée est bien mieux accepté que le traitement par lunettes porteuses de secteurs.

Après ce traitement par occlusion alternée, qui sera prolongé le plus longtemps possible, nous opérons.

La technique opératoire est simple, simpliste même dirons certains :

À l’encontre de Deller, je ne pratique jamais de myopexie rétro-équatoriale.

NOTRE SÉRIE
Notre série porte sur 21 cas consécutifs d’enfants opérés avant l’âge de 30 mois. Deux cas ont été éliminés, car l’indication avait été portée en raison d’une amblyopie rebelle au traitement par occlusion.

Il y avait 12 filles et 9 garçons.

L’âge lors de l’opération variait de 9 mois à 29 mois.

La réfraction (puissance moyenne des deux yeux) variait de 0 à +4 dioptries. La déviation estimée variait de 50 à 100 dioptries prismatiques.

Il avait été observé 2 syndromes alphabétiques, dont 2 syndrome V et 9 syndromes A.

Dans les 21 cas il y a eu recul des deux droits internes par anse au talon de 4 à 6 mm.

Anses de 6 mm

2

Anses de 5mm

15

Anses de 4 mm

4

Dans 2 cas nous avons associé un affaiblissement des deux petits obliques, et dans 4 cas un affaiblissement des deux grands obliques.

RÉSULTATS
Les résultats immédiats ont toujours été satisfaisants, avec la modification de l’esthétique et un bien être immédiat de l’enfant signalé par les parents dans 12 cas.

Jusqu'à présent, les parents sont tous satisfaits d’avoir pris cette décision opératoire, même s’il persiste une déviation résiduelle.

Comme nous ne pratiquons ces interventions précoces que depuis moins de 3 ans, l’analyse de nos résultats est fragmentaire et ne peut être comparée à celle de Deller.

Pour l’instant, l’angle résiduel avec correction totale, est compris entre -1 5 et 30 dioptries. Il n’y a, pour l’instant, qu’un seul cas de divergence secondaire, induit par un recul de 5 mm des deux droits internes. Le syndrome en A reconnu en postopératoire nous fait penser qu’il avait été méconnu lors des examens préopératoires. L’enfant devra être opéré tôt ou tard, mais le résultat actuel satisfait les parents.

REMARQUES
Nos indications opératoires sont modérées et la technique chirurgicale est peu agressive. Le suivi de ces patients sur une dizaine d’années, comme le fait Deller, est nécessaire pour évaluer les inconvénients tardifs de cette chirurgie précoce.

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Fille opérée à l’âge de 9 mois, avec un recul de 5 mm des deux droits internes. À un an l’angle résiduel est d’environ 10 dioptries


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(Dernière mise à jour de cette page le 28/05/2006)