MOUVEMENTS DISJOINTS CHEZ UN SUJET PRÉSENTANT UNE ATTEINTE OCULOMOTRICE COMPLEXE
Cas clinique


Jean-Bernard WEISS
(Paris)

VAL... 65-04-24 - Obs. 013

Victime d’un accident de la voie publique en 1987 entraînant un coma de 3 jours, ce patient présente une cécité totale et définitive de l’œil droit, et une déviation permanente de cet œil en convergence.

Il consulte dans notre service en septembre 1991 pour un avis opératoire.

L’acuité visuelle de son œil droit est nulle; elle est associée à une atrophie de la papille et à un réflexe pupillaire direct négatif tandis que le réflexe pupillaire indirect est conservé.

L’examen moteur montre une paralysie totale de l’abduction évidente, qui masque en partie une limitation de l’élévation et peut être de l’abaissement. Il n’existe pas de ptôsis (Figure 1).

L’angle de déviation quand l’œil gauche fixe en position primaire est évaluée à45 dioptries.

Dans la vie courante, le patient a pris l’habitude de tourner la tête vers la droite pour diminuer le dommage esthétique (Figure 2).

Dans le regard à gauche, l’angle de déviation diminue et l’on note un mouvement d’adduction de l’œil droit (Figure 3).

Mais, lorsque l’œil gauche passe du regard de face au regard à droite, la dextroduction de l’œil gauche s’accompagne d’une levoduction de l’œil droit. Les mouvements des yeux sont donc disjoints (Figure 4). Ce phénomène est reproductible.

La mise en jeu d’une convergence d’origine accommodative ne peut être invoquée car le point que fixait l’œil gauche était éloigné de 40 cm du visage du patient.

L’examen E.O.G. était révélateur.

Lors des saccades gauche-centre-droite-centre-gauche, les déflexions de l’œil droit étaient de plus petites amplitudes que celles de l’œil gauche, et elles étaient en miroir (Figure 5).

Chez un patient énucléé, on obtient un tel aspect de déflexions en miroir, par diffusion des potentiels de l’œil unique. Il en est de même lorsqu’un œil est délabré et que la valeur de son dipôle rétinocornéen est nulle. Dans un tel cas l’amplitude de ces déflexions en miroir est très réduite, ce qui était le cas lors de cet enregistrement. Du reste, pour ce patient, la cécité de l’œil droit était attribuée à une section du nerf optique.

L’intervention sur l’œil droit, pratiquée sous anesthésie de contact, a consisté en un recul du droit interne associé à une suppléance de l’abduction par des forces passives.

Les constations peropératoires ont confirmé le diagnostic de mouvements disjoints par innervation paradoxale du droit interne.

Pendant opération l’utilisation d’un champ opératoire translucide nous a permis de vérifier la position de l’œil gauche, non opéré, lorsqu’il était demandé au patient d’effectuer un mouvement vers la droite ou vers la gauche.

Avant tout geste chirurgical, les tests de ductions forcées ont monté une limitation de l’abduction forcée.

L’œil droit une fois placé en abduction forcée, par une pince fixée près du limbe, une force d’adduction était ressentie par l’opérateur chaque fois que l’œil gauche faisait un mouvement d’adduction ou d’adduction en partant de la position primaire.

Après la désinsertion du muscle droit interne, monté sur deux fils passés dans le tendon, les mouvements volontaires vers la gauche montraient une contraction du muscle droit interne de l’œil droit, ce qui est normal. Mais les mouvements volontaires vers la droite, contrôlés par le déplacement de l’œil gauche, s’accompagnaient d’une contraction du droit interne droit, paradoxale, objectivée par un enfoncement du muscle détaché de la sclère, et par une augmentation de la tension des fils passés dans ce muscle.

Par contre, il n’y avait aucun déplacement de l’œil droit vers la droite, ni d’augmentation du tonus du muscle droit externe qui restait atone.

Lors des réglages finaux, alors que l’œil droit était sensiblement en position primaire, les mouvements disjoints persistaient; en conséquence les anses du droit interne ont été allongés, au prix d’une perte de l’adduction directe et paradoxale. Le résultat s’est maintenu dans les suites opératoires (Figure 6).

Pour les symptômes de Stilling Duane, un mécanisme de co-innervation a été invoqué, au vu d’enregistrements électromyographiques. Chez de tels patients opérés sous anesthésie de contact, nous n’avons jamais observé de co-contractions des muscles droits horizontaux lors des mouvements d’adduction.

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Figure 1
: Les 9 positions du regard. La parésie de l’abduction de l’œil droit est évidente

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Figure 2 et 3
: 2 En haut: position primaire; en bas: regard à gauche. L’adduction de l’œil droit augmente dans le regard à gauche, ce qui est normal.
3 En haut: position primaire; en bas: regard à droite. L’adduction de l’œil droit augmente dans le regard à droite, ce qui est paradoxal. Les mouvements sont disjoints, sans que la convergence accommodative ne puisse être invoquée

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Figure 4
: Le patient a appris à adopter un torticolis pour diminuer l’aspect inesthétique provoqué par la paralysie de l'abduction

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Figure 5
: Enregistrement E.O.G. des mouvements oculaires. Saccades de 20° de part et d’autre de la position primaire. Œil gauche fixateur. Les déflexions de l’œil droit sont diminuées par rapport à celles de l'œil gauche, et en miroir lors des mouvements vers la droite

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Figure 6
: Après une intervention sous anesthésie de contact, l’œil droit est en rectitude approximative. Les mouvements disjoints ont disparu, grâce à un grand recul du droit interne


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(Dernière mise à jour de cette page le 28/05/2006)