ALHAZEN ET LA TABLETTE MERVEILLEUSE


L’exposé de la vie de ALHAZEN (EL HASSAN IBN EL HAYTHAM) a été relatée par Moharned EL GOLLI ainsi que l’historique de son œuvre.

Notre propos est de nous limiter à l'histoire d’une de ses découvertes : "Les tablettes", citée par Emile JAVAL en 1896 (Manuel du Strabisme, MASSON Edit. 1896. page 25) (figure 1)

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Figure 1 : La tablette de AlHazen
(Figuré dans le Manuel du Strabisme de Javal)

Cette tablette correspondait ou complétait l‘explication de la Vision telle que la concevait l‘auteur. Il était de notoriété courante, au IXéme et au Xéme siècle, en héritage de la Grèce antique, qu’un rayon sortait de l’œil et allait, en quelque sorte palper les objets. La notion, dans sa part péjorative, survit chez les jeteurs de sort, avec l'expression "il a le mauvais œil". Cette théorie, étayée sur des arguments que nous appellerions à tort de type "scolastique’’, est défendue dans les "Dix articles sur l'œil" de HUNEIN IBN ISHAC traduit par Max MEYERHOF, et merveilleusement édité au Caire en 1927 (texte arabe et traduction en regard)

ALHAZEN n’a peut-être pas été le premier à avoir pensé que la lumière pénétrait dans l’œil puisque certains éclectiques grecs enseignaient que le rayon émis revenait vers l’œil en rapportant l’image. Seul EPICURE a nié l'existence des rayons émis par l' œil. Les objets émettent des silhouettes ou images de façon continue que 1'œil reçoit. Par contre, ALHAZEN est bien le premier à avoir appliqué les lois de l’optique qu'il avait étudiées à l’organe oculaire, considéré lui-même comme un instrument d’optique. En latin, cela donnait : "Omnis visio fit refracto".

Arrivé à ce stade ALHAZEN se devait d’expliquer pourquoi deux organes de la vue donnaient une vision unique. Ayant découvert qu’en appuyant sur un œil il provoquait une diplopie. il en tira une première conclusion que les images devaient se former en des lieux semblables - nous dirions aujourd’hui correspondant - et qu’un certain message transmis par le cristallin le vitré, puis les nerfs optiques, devait arriver au chiasma qu’il connaissait et la, se fusionner en un message unique dont l’interprétation ultérieure était le fait du "roh", c’est-à-dire de l’âme ou de l’esprit.(figure 2). Il restait vaincre pour lui une difficulté majeure il avait découvert la chambre noire et savait, pour l'avoir constaté, que l’image d’une chandelle était inversée sur la paroi opposée à l’orifice d'entrée des rayons. Si l'image devait se former sur la rétine, elle eut été nécessairement à l'envers.

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Figures 2 et 3 : La diplopie physiologique selon AlHazen

Cette difficulté parut insurmontable à ce grand savant. Il ne trouve aucune explication pouvant le satisfaire et pouvant expliquer le redressement de cette image : aussi abandonna-t-il la rétine comme Organe de la vision et manqua-t-il cette grande découverte. Il plaça le foyer de la vision juste en arrière du cristallin, à ce qui est pour nous le centre optique de l’œil, et son centre de rotation. C'est, disait-il, le point qui ne bouge pas dans les mouvements du globe. Ce point immobile est celui qui nous permet d1avoir des images stables. Disons à sa décharge que le faux problème de l’interprétation d'une image physique inversée en une image droite n’a été résolu que par les physiologistes et les philosophes du XIXéme siècle et que la stabilité de l'image pendant nos mouvements serait due a ce que nous savons du rôle de 1'archéo-cerveau. "L‘image rétinienne est la seule qui ne soit pas destinée à être regardée". (GRASSET)

Par contre, il lui fallait démontrer que nous recevons bien deux images, qu’elles sont objectivement doubles, mais perçues par nous comme simples. Le but de sa tablette est de démonter le processus unificateur a partir de la "diplopie physiologique". Il l’imagine ainsi (figure 4) : soit un rectangle de bois poli de 4 doigts de large (environ 8 cm, un peu plus que l'écart pupillaire) et d’une coudée de long (environ 45 cm). (Le point le plus éloigné nécessiterait 2 dioptries accommodatives et 2 angles métriques de convergences. Sur cette tablette. on trace 2 médianes 2 diagonales, un centre Q. Une encoche permet d'encastrer l'arête du nez. Plaçons la tablette contre notre nez, nous coupant de notre référence au sol. Tout se dédouble, sauf la frontale et le point de fixation Q. ALHAZEN dispose des colonnettes de couleur en Q, T, K, S, L : Q, T, K restent simples. Le point Q fixé détermine la zone de l'horoptère, zone sans diplopie. S et L se dédoublent.

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Figure 4 : Illustration du phénomène de Frontalisation de Weiss par la tablette
- la forme sagittale QL ==> la forme frontale II'
- donc la forme physique QL est différente de la forme perçue II'

Ce qui nous a e plus intéressés et frappés dans cette tablette c’est la disparition de la médiane sagittale qui est frontalisée et qui vient se superposer aux diagonales. La forme physique est donc différente de la forme perçue (Formes à choix et phénomène de frontalisation. J.-B. Weiss).

Nous avons pensé que c'était là un des phénomènes les plus importants de la tablette. Nous avons alors fabriqué une plaquette qui en est dérivée et qui, dans sa forme la plus simple, ne comporte que la médiane sagittale.

Une forme plus élaborée comporte en outre des cibles aimantées mobiles placées ou déplacées le long de cette médiane (figure 5).

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Figure 5 : La Plaquette

Elles permettent aux axes visuels, en fixant l’une ou l’autre, de se situer en CONVERGENCE ou en DIVERGENCE relative (figure 6).

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Figure 6 : Le sujet qui fixe la cible blanche voit en divergence relative :
- deux cibles noires proximales;
- deux lignes blanches en "A"
et en inversant la figure, le sujet en convergence relative, voit :
- deux cibles noires distales
- deux lignes blanches en "V"

Sans entrer dans trop de détails dans une réunion d’histoire de la médecine, disons qu’en fixant la cible proximale, les axes visuels sont on convergence relative par rapport à la cible distale vue en diplopie homonyme par stimulation des rétines nasales.

En fixant la cible distale, les axes visuels sont en divergence relative par rapport à la cible proximale vue en diplopie croisée par stimulation des rétines temporales.

Enfin, une dernière modification nous permet de faire porter par la plaquette un stéréogramme plein ou transparent à son extrémité ou en son milieu. La sagittalisation de ces derniers en est grandement facilitée, ce qui permet une rééducation très facile (figure 7).

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Figure 7 : Plaquette porte stéréogramme

Ainsi, la "tablette" d’origine et notre plaquette modifiée permettent le diagnostic d’une vision binoculaire, ou son absence, de déterminer s'il s’agit d’une éso ou d’une exophorie, d’apprécier la puissance de convergence d’un individu donné et, enfin, d’entreprendre d’éventuels exercices de rééducation orthoptique à domicile.

Cette lointaine naissance tablette, dont les motivations qui ont présidé à sa naissance sont aujourd'hui dépassées, demeure un merveilleux instrument de mise en évidence et d’étude de la diplopie physiologique et, par conséquent de la vision binoculaire.

ALHAZEN est non seulement un personnage historique majeur, mais les prolongements inattendus de son œuvre le maintiennent vivant parmi nous.

Lucie-Jacqueline MAWAS in "L'ophtalmologie des origines à nos jours". Tome 3. 1981 


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(Dernière mise à jour de cette page le 03/06/2006)