LOUIS-EMILE JAVAL
Le "Père" de l'Orthoptique
Pour beaucoup d'ophtalmologistes et d'orthoptistes, la connaissance de JAVAL se résume à la pratique de l'ophtalmométrie. Alors que son œuvre est immense et variée.
Emile JAVAL naquit en 1839. Fils d'un banquier israélite et Saint Simonien, il fit des études scientifiques, devint ingénieur des mines en 1862 et débuta aux houillères de l'Hérault. Mais un an après, à l'âge de 24 ans, il démissionne pour entreprendre des études de médecine. Directeur du Laboratoire de la Sorbonne, Membre de l'Académie de Médecine, il devient aveugle en 1906, et meurt en 1909.
Son attirance pour la médecine, et plus spécifiquement pour l'ophtalmologie, tenait au fait que sa jeune soeur Sophie était atteinte d'un strabisme convergent. I1 était peu convaincu de l'efficacité d'une intervention que proposait DESMARRES : son propre père, qui avait été opéré par DESMARRES pour un strabisme convergent, présentait alors un strabisme divergent secondaire, fort disgracieux. I1 confia sa sœur à F. GIRAUD-TEULON, lui même ancien polytechnicien, pour un traitement prismatique qui n'aboutit à rien. Non satisfait des strabologues de l'époque, JAVAL se décida à étudier lui-même la question et pour cela changea de carrière.
L'OEUVRE SCIENTIFIQUE DE JAVAL
Le Traducteur
HELMHOLTZ dominait alors l'ophtalmologie. Quelle meilleure formation, pouvait avoir JAVAL que de traduire "L'optique physiologique" ?
Avec KLEIN il travaille avec passion et publie en langue française l'œuvre du Maître allemand en 1867. Plus tard, il traduira "Des anomalies de l'accommodation et de la réfraction" de DONDERS.
On peut deviner, au choix de ces ouvrages, une partie de l'œuvre scientifique de JAVAL.
Les travaux sur l'astigmatisme
JAVAL était lui-même astigmate. HELMHOLTZ avait construit un ophtalmomètre. Mais son emploi était mal aisé; la mesure de l'astigmatisme cornéen nécessitait plus d'une heure, et l'appareil n'avait pas quitté le domaine du Laboratoire. JAVAL s'attaque à ce problème, et par des étapes successives va simplifier la mesure de l'astigmatisme cornéen ; il construit :
- Le cadran rayonne (1865), repris plus tard par PARENT et par GREEN.
- L'optomètre, avec la combinaison de verres sphériques et cylindriques, comme dans nos modernes réfracteurs.
- La lentille de STOKES modifiée, composée de deux cylindres tournant en sens contraire.
- Le disque de JAVAL-SCHIOTZ, fait de cercles concentriques, repris plus tard par PLACIDO.
- L'ophtalmomètre, né en 1880, et qui sera amélioré d'année en année Il introduit la notation moderne des verres : puissance exprimée en dioptries et non en pouces, axe des cylindres repéré selon nos notations actuelles. Enfin, si dans de nombreuses publications il décrit les procédés de mesure de l'astigmatisme, il laisse volontairement à ses confrères le champ des publications cliniques.
Travaux sur le strabisme
C'est par l'étude de la vision binoculaire et du strabisme que JAVAL aborde l'ophtalmologie. La traduction des ouvrages de HELMHOLTZ et de DONDERS eurent sur lui une influence certaine. Nombreuses furent ses publications dans ce domaine. Nous ne retiendrons que le "Manuel du Strabisme" édité en 1895, qui résume ses travaux et son expérience clinique. Dans cet ouvrage, on découvre la presque totalité de la strabologie moderne, avec :
- le traitement optique du strabisme
- le traitement de l'amblyopie par occlusion - le traitement du strabisme par les prismes
- les traitements orthoptiques, effectués alors au moyen d'un "stéréoscope à 5 mouvements", ancêtre du synoptophore
à gauche, le "Stéréoscope à 5 mouvements"; à droite, le
"stéréoscope à charnières et miroirs"
- la rééducation dans l'espace.
JAVAL donne une description :
- Des syndromes alphabétiques
- Des strabismes variables ou spastiques
- De la neutralisation
- De la correspondance anormale
- De la diplopie monoculaire.
L'ouvrage comporte de nombreuses observations, citées à l'appui d'une théorie ou illustrant un point important.
Les observations qui concernent les membres de sa famille sont révélatrices et parfois savoureuses.
Pour sa sœur (OBS 1), il termine ainsi . "Je dois avouer que, malgré une ténotomie pratiquée en 1869 sur son oeil gauche par VON GRAEFE et qui la mit plutôt en état de divergence, Sophie continue à loucher en dedans. On conçoit, en effet, que ses parents n'aient pas fait confiance au jeune inventeur d’un procédé nouveau, surtout en présence des tâtonnements qui allongèrent démesurément le traitement, lequel fut définitivement abandonné peu après l'opération inutile de VON GRAEFE en 1869".
Appliquant ses principes sur son neveu (OBS 310), il le fait opérer à l’âge de 16 mois, puis conduit l'enfant à une guérison fonctionnelle.
I1 se fait berner par sa nièce (OBS 309) lors d'une rééducation particulièrement longue. "Supposant qu’elle avait aussi triché pour le reste, j’ai supprimé pendant un mois les exercices stéréoscopiques, en continuant ceux de diplopie, et j’arrive enfin à lui arracher l’aveu de l’imposture..." "C'est de ce jour qu’elle finit par avouer, en sanglotant son méfait, en me suppliant de n'en rien dire à ses parents, qui, d’ailleurs n'ont jamais voulu y croire."
La conclusion du "Manuel du Strabisme" est une merveille de lucidité et de probité : "Faut-il rétablir la vision binoculaire toutes les fois que cela est possible ? Je n'hésite pas à répondre : non ! La première fois que j’exposais à VON GRAEFE mes procédés de traitement, ce confrère aussi célèbre par sa bienveillance que par ses mérites professionnels me stupéfia en me disant que les gens ne sont pas dignes de tant de peines. L’expérience de la vie m'a appris que VON GRAEFE avait raison".
Travaux sur l'écriture et la lecture
C'est une partie de l'œuvre de JAVAL qui est méconnue des ophtalmologistes. Très tôt dans sa carrière scientifique, JAVAL s'intéresse à la lecture et à l'écriture. I1 publie articles et rapports sur l'hygiène scolaire ainsi qu'une "méthode JAVAL", méthode d'enseignement de la lecture et de l'écriture. Mais surtout parait, en 1906, la "Physiologie de la lecture et de l’écriture", ouvrage fondamental pour les psychologues et les imprimeurs.
Autres travaux scientifiques
Les autres travaux de JAVAL portent sur la réfraction, l'acuité visuelle, la vision des couleurs, la myopie et l'hygiène scolaire. Ils sont les compléments des œuvres précédentes.
L’idéaliste
L'œuvre de JAVAL ne peut être réduite à ses travaux scientifiques. I1, fut aussi .
- Le conseiller général de l'Yonne qui attachait une grande importance aux progrès de l'agriculture
- Le député qui, auteur de la "Loi JAVAL", proposait des réductions d’impôts pour les familles nombreuses
- Le membre très actif de la "Ligue de l’enseignement"
- Le propagateur de l'espéranto
- Le donateur, qui légua à la Faculté de médecine sa bibliothèque, aujourd'hui abritée par le "Centre de documentation JAVAL"
- L'aveugle, qui écrivit "ENTRE AVEUGLES", petit livre sur l'adaptation à la cécité.
- Le glaucomateux qui fit don de ses yeux aux anatomo-pathologistes, pour l'avancement de la science.
Savant productif et généreux, JAVAL était plein d'humilité. Ses dernières paroles furent : "Je n'ai été qu'un troubadour".
Jean-Bernard Weiss. in "L'ophtalmologie des origines à nos jours". Tome 3. 1981
BIBLIOGRAPHIE :
Les articles de JAVAL ont été publiés dans les journaux spécialisés de l'époque.
La "Physiologie de la lecture et de l'écriture" a été rééditée par les éditions RETZ, 114 rue des Champs Elysées. 75008 PARIS.
Le "Manuel du strabisme" a été réédité par le C.E.R.E.S. et peut se commander auprès de la société EMS Diffusion.
La vie et l'œuvre de JAVAL ont été décrites dans l'excellente thèse de notre confrère M. BURSAUX : "JAVAL : Sa vie. L'actualité de son œuvre scientifique".
(Dernière mise à jour de cette page le 03/06/2006)
