Académie de Médecine

29 avril 2003

RAPPORT
au nom d'un groupe de travail sur la situation actuelle de la profession d’ophtalmologiste
Henry HAMARD


Résumé

La démographie décroissante des ophtalmologistes va provoquer un changement à court terme du mode d'exercice de la profession. Les besoins de soins –glaucome, diabète, dégénérescence maculaire liée à l'âge- ne sont déjà pas suffisamment assurés, pas plus que le dépistage des troubles visuels de l'enfant et cette déficience va s'aggraver dans l'avenir du fait de l'allongement de la durée de la vie. Pour pallier ces difficultés une partie des actes techniques doit être transférée aux orthoptistes, collaborateurs naturels des ophtalmologistes, sous la responsabilité de ceux-ci.
L'Académie nationale de médecine recommande, outre l'augmentation du nombre d'ophtalmologistes en formation et l'accroissement de celui des orthoptistes, la collaboration étroite entre ces deux professions et la création de réseaux de soin.

Mots-clés : Démographie, ophtalmologie, orthoptie

La profession d'ophtalmologiste traverse en France une période d'inquiétude quant à ses possibilités futures d'exercice compte tenu, en particulier, d'une démographie décroissante. Il s'agit ici d'analyser l'existant et de préciser autant que possible comment pourront être pris en compte, dans un avenir proche les besoins de santé oculaire de la population.

L'ophtalmologie est une spécialité médicale, chirurgicale et optique :

Quels sont les besoins de soins en ophtalmologie ?
Les urgences sont actuellement difficilement assurées en activité libérale autant qu'hospitalière.
Toutes les affections ne peuvent être citées mais la situation est alarmante du fait de la nécessité d'actions de prévention.
Celles-ci concernent

On ne peut donc que constater l'inadéquation actuelle entre les besoins de soins et la solution de ceux-ci et prévoir l'aggravation de cette disparité dans l'avenir du fait de l'allongement de la durée de la vie.

Quels sont les acteurs ?

L'articulation triangulaire fondée sur la collaboration actuelle entre les ophtalmologistes, les orthoptistes et les opticiens ne rend pas nécessaire l'introduction d'une quatrième catégorie professionnelle.

Quels sont les problèmes démographiques actuels et prévisionnels ?

Plusieurs enquêtes nationales permettent les évaluations suivantes.

Selon les statistiques de l'I.N.E.D. en 2002, confirmées par le Ministère de l'Emploi et la D.R.E.S.S., le nombre d'ophtalmologistes devait diminuer de 44 % d'ici 2020 alors que les troubles de la vue devaient augmenter de 15 %. Cette baisse aurait dû être plus rapide que celle projetée pour l'ensemble des spécialistes français (moins 25 %) et la totalité du corps médical (moins 18 %).

La réalité est différente puisque sont "validés" chaque année environ 100 ophtalmologistes répartis pour moitié entre D.E.S. et étrangers autorisés à exercer en France et que le nombre d'ophtalmologistes continuant leur activité après 65 ans ne paraît pas diminuer ; de ce fait la démographie ophtalmologique ne devrait pas se réduire de façon aussi drastique que prévu, cependant, à l'horizon 2020, la diminution devrait avoisiner 23 % dans une hypothèse moyennement optimiste, les effectifs ne commençant à baisser qu'après 2013. Or, nous sommes en 2003 et il faut 12 ans pour former un ophtalmologiste.

Les orthoptistes : leur densité théorique, 4 pour 100 000 habitants, est la plus forte du monde mais le ratio paramédical/profession médicale est très bas (0,44 orthoptiste/ophtalmologiste contre, par exemple, 4,8 orthophonistes/O.R.L.). Cela suppose une marge de progression potentielle importante : 200 à 250 orthoptistes partiront en retraite dans 10 ans, les besoins de formation seront de 2 500 à 3 000 sur les 10 prochaines années, ce qui laisse prévoir un doublement nécessaire de leur nombre.

Les opticiens : issus des écoles d'optique, répartis entre 65 % de salariés et 35 % de commerçants, leur densité moyenne en métropole est de 20 opticiens-lunetiers pour 100 000 habitants, cinq fois supérieure à celle des orthoptistes. Il y a donc pléthore d'autant qu'une formation accélérée au B.T.S. permet de ramener à dix-huit mois leur formation.

La répartition géographique réunit ces différentes professions.
Seule celle des orthoptistes peut être contrôlée et elle est superposable à celle des ophtalmologistes. La densité de ceux-ci pour 100 000 habitants est de 13,3 en Ile-de-France, 12 en Languedoc-Roussillon contre 5,7 dans le Nord-Pas de Calais, à titre d'exemple. Celle des opticiens est anarchique.

Quelles solutions proposer ?

La première est incontestablement l'augmentation du nombre des ophtalmologistes en formation.

La seconde est l'accroissement du nombre et des compétences des orthoptistes étendant ces dernières à la pratique d'actes tels que l'activité de contactologie et la réalisation du bilan visuel chez le nourrisson.

L'implication d'autres médecins par la création éventuelle d'un D.I.U. d'Ophtalmologie pour les médecins généralistes ou le retour à un C.E.S. ne paraissent pas des solutions adéquates sauf à représenter un accès à la spécialité sans passer par la voie normale du D.E.S.

Apparaît alors une nouvelle culture dans la conception de l'exercice de l'ophtalmologie : pallier l'inadéquation entre les besoins de la population et le nombre d'ophtalmologistes, en respectant le Code de la Santé Publique et le Code de Déontologie, par transfert d’une partie des actes techniques vers d'autres professions.

Les opticiens n'ayant pas de compétence médicale, les aides de l'ophtalmologiste sont tout naturellement les orthoptistes qui souhaitent rester une profession « prescrite » et à qui le décret de compétence de juillet 2001 donne le droit d’effectuer des examens complémentaires sur prescription. Contrairement aux opticiens, ils n'ont aucune implication dans un circuit commercial ; cette délégation de technicité vers les orthoptistes devra se faire sous la responsabilité des ophtalmologistes, ce qui multipliera les sécurités à l'égard du patient.

CONCLUSIONS

Le groupe de travail propose à l'Académie nationale de médecine d'adopter les recommandations suivantes nécessaires à l'amélioration de l'activité des ophtalmologistes :

  1. Augmenter d'urgence le nombre de postes formateurs des médecins ophtalmologistes et, en attendant le résultat de cette augmentation, ne pas s'opposer au recrutement de médecins étrangers hors Communauté Européenne sous contrôle strict de qualification et autoriser les médecins retraités à exercer une activité périodique.
  2. Habiliter des collaborateurs ayant une formation médicale à effectuer des actes techniques de la spécialité après avoir précisé quels sont ceux qui sont susceptibles d'être délégués et ce, sous la responsabilité des ophtalmologistes ; un tel partage des tâches ne devant être appliqué ni de manière brutale ni de façon définitive, ce qui suppose la mise en place progressive de périodes probatoires.
  3. Amplifier le recrutement des orthoptistes, collaborateurs naturels des ophtalmologistes, dans le cadre législatif en place et sous condition de compléments de formation contrôlés.
  4. Accroître la collaboration entre le secteur public hospitalier, lui-même en pleine mutation, et le secteur privé en sorte de développer leurs complémentarités et leurs synergies.
  5. Favoriser par des mesures incitatives fortes l'installation des ophtalmologistes et des orthoptistes dans les zones à faible densité médicale, aider l'extension des réseaux de soins existants afin de les officialiser après évaluation locale des besoins et créer des centres de rééducation de basse vision.

L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 29 avril 2003, a adopté le texte de ce communiqué à l’unanimité, moins une abstention.


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(Dernière mise à jour de cette page le 03/06/2006)