MESURE DE L'ANISÉICONIE
M.-L THIOLLET, J.-B. WEISS (Paris)
Résumé : Les distorsions spatiales induites par l'aniséiconie sont décrites ainsi que les méthodes de mesure qui en dérivent. Des tests pour synoptophore, analogues à ceux de Ruben sont décrits et les résultats de mesures effectuées sur 81 patients sont donnés et analysés.
Mots-Clés : Aniséiconie, stéréoscopie, tests pour synoptophore
Summary : The spatial distorsions induced by an aniseikonia are described and the main measurement techniques of aniseikonia are reviewed. With special slides, similar to those previously used by Ruben, the aniseikonia of 81 patients was measured. Results are discussed.
Key Words : Aniseikonia, stereopsis, slide for amblyoscopes
Laniséïconie est définie comme une différence de taille entre les deux images rétiniennes (ou les deux projections corticales) dun même objet.
Laniséïconie provient dune asymétrie entre les systèmes optiques des deux yeux, quil sagisse dune aphaquie unilatérale (aniséïconie de puissance), dune anisométropie due à une différence de longueur entre les deux yeux (aniséïconie axile), soit même dune isométropie associée à des paramètres optiques différents pour chaque il.
La distinction entre anisométropie axile (typiquement la myopie unilatérale), et anisométropie de puissance (aphaquie, astigmatisme cornéen) est importante dans la mesure où les calculs biométriques démontrent que pour minimiser laniséïconie, il faut corriger laphaque par un verre de contact, et le myope unilatéral par un verre de lunettes.
DISTORSIONS PROVOQUÉES PAR LANISÉÏCONIE
Dans ce qui suit, on suppose que le sujet a une vision binoculaire et que son sens
stéréoscopique est bon.
Laniséïconie provoque, une distorsion de lespace visuel binoculaire. Cette distorsion, peu apparente dans un environnement banal, est bien mise en évidence dans la chambre de distorsion de AMES, dans laquelle sont disposées 4 verticales et une croix frontale (1).
La perception varie suivant limportance et le type de laniséïconie (Fig. 1).
Les mesures pratiquées avec un tel dispositif démontrent que cette distorsion suit des règles simples. Par exemple, si lon grossit par un verre limage de lil droit (Fig. 2), le plan frontal semble tourner autour dun axe vertical dun angle f donné par la formule :
TG f = (O x D) / E
où O est le grandissement du verre, D est la distance du plan frontal et E est lécart inter-pupillaire.
La rotation du plan frontal augmente avec la distance (Fig. 3). Plus la distance est grande, plus la distorsion devient intolérable. Dans la vie courante, le sujet présentant une aniséïconie notable perd sa vision binoculaire au loin, en particulier la nuit.
MESURE DE LANISÉÏCONIE
Il est possible dévaluer laniséïconie en présentant à chaque il des
images différentes de même taille (Fig. 4).
Mais la mesure précise de laniséïconie est fondée sur lanalyse des distorsions spatiales; pour cela le sujet doit avoir une bonne stéréoscopie et pouvoir fusionner.
La chambre de Ames nest pas utilisée en clinique, car trop encombrante. Divers appareils stéréoscopiques ont été utilisés (A.O.C. et LOR TELEGIC). Plus récemment PREVOST et coll. (3) ont présenté un éiconomètre spatial avec projection polarisée de la figure de Ames. La mesure de laniséïconie se fait par annulation des distorsions grâce à des verres de grossissements variés.
FIGURE 1
a) Le sujet normal.
b) Aniséïconie sphérique ou " over all " : grossissement de
limage de lil droit dans tous les méridiens.
c) Grandissement suivant le méridien horizontal.
d) Grandissement suivant le méridien vertical.
Mais dès 1962, RUBEN (2) avait proposé des tests pour la mesure de laniséïconie avec un synoptophore. Ce procédé est dautant plus élégant que la mesure se faisant avec des tests de tailles différentes, il nest pas nécessaire de disposer de toute une série de verres grossissants. Dautre part, la mesure reste possible quand le sujet présente une déviation des axes visuels, car il suffit alors de compenser cette déviation.
Des tests analogues ont été édités par le laboratoire E. JAVAL, dans le cadre du C.E.R.E.S. (4).
FIGURE 2
Grandissement de limage de lil droit. Lobjet AB semble avoir
tourné autour dun axe vertical, la partie droite étant plus éloignée que la
gauche.
FIGURE 3
Langle apparent de rotation f augmente avec la
distance dobservation,
suivant la formule : tg f = (G x D) / E
ou G est le grandissement en pourcentage, D la distance dobservation et E
lécart inter-pupillaire.
FIGURE 4 : Test de comparaison direct selon Ames.
a) Stéréogramme de lil gauche.
b) Stéréogramme de lil droit.
c) Ce que le sujet voit en cas de grandissement de limage de lil gauche.
DESCRIPTION DES TESTS
Il y a dix tests, une paire de témoins et une série de 8 tests dont les grandissements
sont de 1, 2, 3, 4, 5, 10, 15 et 20 % par rapport aux témoins (Fig. 5). La perception
binoculaire est analogue à celle de la chambre de Ames.
UTILISATION DES TESTS
Il faut dabord régler soigneusement le synoptophore pour le sujet: régler
lécart des deux bras; compenser toute déviation horizontale, verticale ou
torsionnelle. Les valeurs imprimées sur les tests doivent toujours être placées en
temporal.
FIGURE 5 : Tests pour la mesure de laniséïconie avec un synoptophore.
a) Test témoin.
b) Le test de 10 %
Avec la paire " 0 ", " 0 ", un sujet normal perçoit, du plus près au plus loin :
Les verticales dune même paire lui paraissent être situées à des distances égales.
Il faut vérifier que le sujet a une stéréoscopie suffisante pour lexamen. Pour cela, on placera par exemple le test "0" à gauche et le test " 10 " à droite. Si le sujet perçoit les verticales de droite plus éloignées que celles de gauche, cest quil a bien le sens de la stéréoscopie.
Si le sujet a une stéréoscopie, on commence en plaçant les deux tests. témoins " 0 ". Si le sujet présente une aniséïconie, il perçoit les verticales dun côté plus éloignées que celles de lautre côté, tandis que la croix reste dans un plan frontal.
Supposons que les deux verticales de gauche lui semblent plus éloignées que celles de droite. On remplace le test " 0 " placé à droite par les tests " 1 ", " 2 ", etc., jusquà ce que les verticales de droite et de gauche lui semblent être situées à des distances égales. La valeur du test qui réalise légalité correspond au grandissement de limage de lil droit nécessaire pour annuler laniséïconie.
PRÉCAUTIONS
Le réglage des hauteurs doit être exact, sinon les deux branches de la croix se
séparent; ceci constitue dailleurs un excellent test pour mesurer la disparité de
fixation verticale.
Il faut toujours vérifier que le synoptophore dont on dispose est bien de construction symétrique; nous connaissons un synoptophore qui présente une " aniséïconie " de 2 %.
Pour étalonner un synoptophore, on fera des mesures sur des sujets présumés normaux. Si le synoptophore est normal, la moyenne des résultats sera voisine de 0 %. Si cette moyenne atteint par exemple la valeur 2 % à droite, il faudra soustraire 2 % à toutes les mesures faites ultérieurement.
Il est préférable dutiliser les mots " loin - près " pour décrire les positions relatives des verticales, les termes " en avant - en arrière " pouvant prêter à confusion.
Il est parfois utile de présenter au sujet un dessin comme celui de la figure 1, pour lui décrire ce quil doit voir.
INTÉRÊT DE LA MESURE DE LANISÉÏCONIE
Hormis le cas de laphaque unilatéral qui présente une diplopie insurmontable en
raison de laniséïconie élevée due à une correction par lunettes, les troubles
spécifiques entraînés par laniséïconie modérée sont mal connus. Il semble que
les sujets présentant une aniséïconie modérée se plaignent de céphalées et surtout
dune perte de la vision binoculaire à distance, en particulier lors de la conduite
automobile pendant la nuit. Il est possible que parmi les insuffisances de convergence que
nous traitons, certaines soient provoquées par une aniséïconie. La mesure de
laniséïconie peut aussi présenter un intérêt lors de léquipement par
lentilles cornéennes. Enfin, lors de limplantation intra-oculaire dun
cristallin artificiel, la mesure de laniséïconie présente un intérêt théorique
sinon pratique.
TRAITEMENT DE LANISÉÏCONIE
Le traitement optique consiste en la prescription de verres spéciaux, dont les
grossissements annulent laniséïconie. Le traitement orthoptique des troubles
induits par une aniséïconie est analogue à celui dune insuffisance de
convergence.
NOS RÉSULTATS
Nous avons pratiqué 81 examens. Dans 8 cas la mesure de laniséïconie était
impossible en raison dune neutralisation. Dans 60 cas, laniséïconie était
inférieure à 1 %. Dans les 13 cas restants laniséïconie mesurée variait de 1 %
à 13 % (tableau 1). Parmi eux se trouvaient trois Ophtalmologistes qui présentaient des
troubles visuels anciens, avec en particulier des difficultés à la conduite nocturne.
Deux dentre eux ont été équipés de verres spéciaux, et leurs troubles
fonctionnels ont disparu.
Nombre de cas |
Valeur de laniséïconie |
Remarque |
5 |
1% |
|
3 |
2% |
|
3 |
3% |
|
1 |
4% |
|
1 |
13% |
Aphaque avec lentille |
TABLEAU 1 : Valeur de laniséïconie des 13 sujets
Un sujet présentait une aniséïconie de 13 %. Cétait un aphaque unilatéral
corrigé par une lentille cornéenne.
BIBLIOGRAPHIE
1. OGLE K.N. (1964). Researches on binocular vision. Hafner, New York.
2. RUBEN R.H. (1962). Brit. Orthop. J., p. 19-39.
3. PREVOST G., BONNAC J.P., MAWAS E. (1980). Aniséïconie : intérêt de sa mesure pour le contactologue et le chirurgien emplanteur. 2ème partie: présentation de lappareil de mesure. Bull. Soc. Opht. France, 81, 1, 123-126.
Adresses des auteurs : Laboratoire Emile JAVAL,
Physiologie de la vision binoculaire, Ecole pratique des hautes Études : 39, avenue
Mathurin-Moreau, 75019 Paris.
Département dOrthoptie, Fondation A. de Rothschild. 29, rue Manin. 75019 Paris