LES TRANSFERTS DE COMPÉTENCES EN OPHTALMOLOGIE : RÉALITÉS ET PERCEPTIONS
Union Professionnelle des Médecins Libéraux de la région Rhône-Alpes
La démographie décroissante des ophtalmologistes va provoquer un changement à court terme du mode d'exercice de la profession avec une baisse importante des effectifs alors que l'évolution et le vieillissement de la population vont conduire à une augmentation de la demande de soins.
L'une des solutions pour pallier l'inadéquation entre les besoins de la population et le nombre d'ophtalmologistes est de transférer une partie des actes techniques vers d'autres professions, en respectant le Code de la Santé Publique et le Code de Déontologie. Toutefois, la délégation de certains examens à des non médecins pose un certain nombre de problèmes, en particulier en ce qu'elle ôte à l'ophtalmologiste l'un de ses rôles : celui de dépistage de lésions précoces paucisymptomatiques. L'orientation vers un relais paramédical plutôt que vers un médecin spécialiste pourrait donc représenter dans certains cas une réelle perte de chances pour le patient. L'Union Professionnelle des Médecins Libéraux de Rhône-Alpes a souhaité explorer la problématique des transferts de compétences (dont on pressent une tendance à la généralisation) en s'appuyant sur l'exemple de l'ophtalmologie et a confié au CAREPS la réalisation d'une enquête exhaustive auprès des ophtalmologistes libéraux de la région et d'un échantillon de leurs patients.
SYNTHÈSE ET CONCLUSIONS ; LES PRINCIPAUX ÉLEMENTS DU CONSTAT
Un premier constat : les ophtalmologistes libéraux de Rhône-Alpes se sont relativement bien mobilisés sur le thème de lenquête puisque le taux de participation est égal à 58% et que les questionnaires semblent avoir été bien distribués aux patients (33% du nombre maximum attendu dans la clientèle des médecins participants ont été retournés). L'enquête porte donc sur un échantillon conséquent de praticiens (245) - dont on a pu vérifier la représentativité sur la base de certains paramètres - et de patients (826).
Constats dressés à partir de l'enquête auprès des praticiens :
Ressources professionnelles au sein des cabinets :
Lieu de réalisation des examens ophtalmologiques et professionnels impliqués :
Perception des transferts de compétences
En direction des orthoptistes de ville :
Les ophtalmologistes se divisent en trois groupes sensiblement égaux quant à leur perception d'un accès direct possible du public à un orthoptiste libéral : ceux qui trouvent cet accès direct intéressant (29%), ceux qui le trouvent critiquable (35%) et ceux qui le jugent à la fois intéressant et critiquable (33%). L'intérêt est davantage perçu par les ophtalmologistes les plus jeunes, ceux qui exercent une activité chirurgicale et/ou dans un gros cabinet ou encore en milieu urbain.
Les aspects positifs d'un accès direct rendu possible à l'orthoptiste sont l'allégement de la charge des médecins et la possibilité pour eux de se concentrer sur les aspects médicaux (55% pointent ces deux aspects positifs mais 15% seulement y voient un intérêt certain).
Les aspects négatifs de cet accès direct sont le trouble semé chez les patients et l'entrave au rôle de prévention de l'ophtalmologiste (plus de 75% le pensent, dont 50% environ qui sont très affirmatifs sur ce plan). Moins souvent est évoquée la dévalorisation de la profession (pointée par 50% dont 25% d'opinions très affirmatives). Dans leurs commentaires, les médecins insistent aussi sur le risque d'égarement du diagnostic, de dilution de la prévention, d'inflation d'examens, de multiplication de prescriptions de rééducation par les généralistes.
En direction des opticiens :
La possibilité pour un opticien de changer ou d'adapter les lentilles d'un patient après consultation préalable d'un ophtalmologiste est diversement appréciée : si 52% jugent cette possibilité intéressante (très intéressante pour 14%), 46% la jugent en revanche critiquable (très critiquable pour 22%). Par contre, la même intervention de l'opticien sans consultation préalable conduit à une condamnation sans appel (jugée critiquable par 95%, très critiquable pour 63%).
Délégations internes et externes :
Bien évidemment, les ophtalmologistes font une grande différence entre une délégation interne et externe de compétences : seuls 10% jugent critiquable (voire inadmissible) une délégation interne, sous leur contrôle, d'examens jusque là réalisés par des ophtalmologistes (à l'opposé, 40% se déclarent tout à fait favorables à cette solution) mais cette proportion s'élève 80% lorsqu'il s'agit d'une délégation externe (dont près de 40% qui jugent cela inadmissible).
Évolutions jugées préférables :
Là encore, les avis apparaissent partagés presque à égalité entre les tenants d'une ligne opposée aux transferts de compétence (pour eux, la solution est de ne pas autoriser les transferts et d'augmenter le nombre d'ophtalmologistes) et ceux qui jugent préférable d'autoriser les transferts (en jouant ou non parallèlement sur le nombre d'ophtalmologistes).
Les constats tirés de l'enquête auprès des patients (malgré les précautions qu'il convient de prendre quant à la connaissance que peuvent avoir certains patients de la fonction exacte du professionnel ayant réalisé tel ou tel examen) :
En conclusion :
Face au constat d'une inadéquation flagrante entre les besoins de la population et le nombre d'ophtalmologistes, la discipline a été contrainte de s'adapter en transférant une partie des actes techniques vers d'autres professions. La présente étude de l'Union Régionale des Médecins Libéraux de Rhône-Alpes apporte un certain nombre d'éléments factuels sur ce transfert de compétences, selon les cas consenti ou subi.
Il apparaît que les délégations d'examens en interne sont déjà largement entrées dans les faits dans le domaine de l'ophtalmologie et sont plutôt bien acceptées par les ophtalmologistes : près du tiers d'entre eux disposent d'un orthoptiste en interne (qui n'est pas seulement chargé des bilans orthoptiques et des rééducations) et beaucoup d'autres envisagent un recrutement (certains qui ne l'envisagent pas reconnaissent que c'est uniquement pour des raisons économiques). Plus qu'un raccourcissement du temps de consultation ou des délais de rendez-vous, c'est la possibilité pour l'ophtalmologiste de se concentrer sur les aspects médicaux qui est mis en avant par les trois quarts des ophtalmologistes. En fait, seuls 10% des ophtalmologistes jugent critiquable une délégation en interne effectuée sous leur contrôle. On notera que le principe d'une délégation de compétences, même en interne, apparaît nettement moins bien accepté par le public qui, majoritairement, indique préférer attendre plusieurs mois plutôt que de passer un examen des yeux réalisé par un non médecin.
Les avis des ophtalmologistes sont beaucoup plus partagés lorsqu'il s'agit de délégations externes. Pour autant, celles-ci ne sont pas rejetées par tous. Ainsi, le quart des ophtalmologistes indiquent que les adaptations de lentilles de leurs patients sont le plus souvent réalisées par un opticien en externe, ce qui est également le cas, pour le tiers d'entre eux, des manipulations de lentilles. Il arrive par ailleurs, même si c'est rarement de manière régulière, que des ophtalmologistes prescrivent des vérifications à faire réaliser par un opticien. Lorsqu'on recueille leurs opinions sur la possibilité d'un accès direct à un orthoptiste libéral, sur trois ophtalmologistes, un y voit un intérêt (permet de se concentrer sur des activités médicales, mise en oeuvre d'une complémentarité de compétences), un autre le juge critiquable (confusion chez le patient et obstacle à la prévention) et le dernier le juge à la fois intéressant et critiquable. De même, l'intervention d'un opticien (par exemple pour changer ou modifier des lentilles) après une consultation chez l'ophtalmologiste est acceptée par la moitié d'entre eux ; par contre la même intervention sans consultation médicale préalable est presque unanimement contestée. Au final, 80% des ophtalmologistes jugent critiquable une délégation de compétences en externe. On notera cependant qu'ils semblent un peu moins critiques dans les faits qu'ils ne le sont dans leurs opinions.
L'étude atteste par ailleurs d'un indéniable effet de génération, les plus de 50 ans se montrant, d'une manière générale, plus critiques sur les délégations de compétences que ne le sont leurs cadets, il en est de même des ophtalmologistes médicaux par rapport aux chirurgicaux, de ceux qui exercent seuls par rapport à ceux qui exercent en association ou encore de ceux qui exercent en secteur I par rapport à ceux qui pratiquent des dépassements d'honoraires (les premiers, exerçant plus souvent l'ophtalmologie médicale, sont peut-être plus attachés à leur rôle de prévention et sont économiquement plus exposés à une baisse d'activité potentiellement occasionnée par la possibilité de réaliser en externe certains examens).
À l'instar du Professeur Berland dans son rapport sur le transfert des tâches et des compétences, il semble que l'on puisse voir dans ces transferts une évolution indispensable pour remédier au décalage pouvant exister dans certains domaines (et, typiquement, dans celui de l'ophtalmologie) entre les besoins de la population et l'offre médicale proposée. Cependant, un tel transfert n'est concevable que s'il s'opère en direction de professionnels ayant une formation adaptée, dans un clair schéma de complémentarité et dans le respect des compétences de chacun, sous la responsabilité du médecin.
Au terme de cette recherche, nous ne nous estimons pas, pour notre part, en capacité de formuler des recommandations concernant l'avenir de l'ophtalmologie. Nous nous permettrons de reprendre ici in extenso les 5 recommandations proposées à l'Académie Nationale de Médecine par le groupe de travail présidé par Henri Hamard :
Le groupe de travail propose à l'Académie nationale de médecine d'adopter les recommandations suivantes nécessaires à l'amélioration de l'activité des ophtalmologistes :
1. Augmenter d'urgence le nombre de postes formateurs des médecins ophtalmologistes et, en attendant le résultat de cette augmentation, ne pas s'opposer au recrutement de médecins étrangers hors Communauté Européenne sous contrôle strict de qualification et autoriser les médecins retraités à exercer une activité périodique.
2. Habiliter des collaborateurs ayant une formation médicale à effectuer des actes techniques de la spécialité après avoir précisé quels sont ceux qui sont susceptibles d'être délégués et ce, sous la responsabilité des ophtalmologistes ; un tel partage des tâches ne devant être appliqué ni de manière brutale ni de façon définitive, ce qui suppose la mise en place progressive de périodes probatoires.
3. Amplifier le recrutement des orthoptistes, collaborateurs naturels des ophtalmologistes, dans le cadre législatif en place et sous condition de compléments de formation contrôlés.
4. Accroître la collaboration entre le secteur public hospitalier, lui-même en pleine mutation, et le secteur privé en sorte de développer leurs complémentarités et leurs synergies.
5. Favoriser par des mesures incitatives fortes l'installation des ophtalmologistes et des orthoptistes dans les zones à faible densité médicale, aider l'extension des réseaux de soins existants afin de les officialiser après évaluation locale des besoins et créer des centres de rééducation de basse vision.
LAcadémie, saisie dans sa séance du mardi 29 avril 2003, a adopté le texte de ce communiqué à lunanimité, moins une abstention.
(Dernière mise à jour de cette page le 03/06/2006)